mardi 16 novembre 2010

368 : lundi 15 novembre 2010

Nous nous étions donné rendez-vous au centre de la place, au pied de la statue équestre de Napoléon. Il pleuvait à torrents. J’attendais donc, seul, sous mon parapluie. Tombait une pluie glacée, que j’entendais s’abattre sur la toile tendue, et voyais s’écouler de part et d’autre des baleines. Je regardais fixement l’endroit duquel, j’en étais persuadé, elle ne manquerait pas d’apparaître sous peu. Louise. Tout en fixant cet espace vaguement défini, je pensais à cet instant, je le mettais en scène, et projetais à nouveau le film si souvent joué de nos précédentes rencontres. Ainsi je fus surpris de la voir apparaître, déjà très proche, souriante et bondissante - abritée il est vrai par guère plus que son sac à mains, qu’elle tenait au dessus de sa tête -, et déjà se réfugiant sous mon parapluie, nos corps et nos visages désormais à quelques centimètres. Je restai stupéfait par sa beauté, et tout en échangeant quelques banalités, me concentrais en réalité à sentir son odeur, scruter son regard, ses mouvements, ses cheveux humides collés à son front. Il arrivait par accident que nos corps se frôlent, j‘étais dans un état second. Ce fut donc son regard qui m’informa de l’incongruité de la situation. Elle observa à hauteur de ma taille, légèrement derrière moi. Je sentis moi-même une certaine chaleur, et me tournant à moitié, découvris un enfant qui profitait de mon parapluie pour s’abriter, blotti contre mes jambes. Je n’eus guère le temps de protester, secoué par une bourrade venant de ma droite : un homme épais, moustachu et fumant cigare venait de s’abriter également, appelant sa femme et ses 2 enfants à le rejoindre, à ma grande et muette stupéfaction. Je la regardai de nouveau, et vit arriver derrière elle 2 vieilles femmes au pas décidé. Elles se firent une place en la bousculant, et son corps se blottit contre le mien. J’aurais aimé remercié ces 2 mégères, mais j’avais eu peur aussi que ce choc, communiqué à mon corps, n’ait projeté l’enfant en arrière. Il n’en fut rien en réalité, je n’avais guère bougé, et constatai que l’enfant jurait, coincé désormais entre mes jambes et celles de 2 touristes japonais - mon contrepoids - qui en profitaient pour photographier Napoléon, chevauchant sans broncher sous la pluie tombante. Les mégères parlaient bien entendu du temps, le gros homme fumait, silencieux, tandis que ses enfants réclamaient à leur mère d’aller au magasin de jouets. Le ton des japonais semblait quant à lui enthousiaste. Quelques secousses me font penser que d’autres personnes s’amoncelaient, que je ne pouvais distinguer : j’entendais simplement leurs voix, des bribes de conversation. Je songeais à l’absurdité de la situation : impossible pour nous de partir, ni même d’ailleurs de bouger. Nous étions au centre du cercle, et mon éducation m’interdisait de fermer mon parapluie pour les faire fuir - et d‘ailleurs comment cette foule réagirait-elle ? Je m’imaginais un instant le confier à l’un de mes compagnons, prenant la main de Louise, et tentant de nous échapper en nous faufilant entre leurs jambes. Finalement nous demeurâmes ainsi, muets, nous souriant, nous dévisageant. Jusqu’à ce que le soleil nous délivre, perçant les nuages, illuminant la chaussée humide, filtrant à travers la toile de mon parapluie. Ils se dispersèrent, nous étions seuls désormais, collés l’un à l’autre…

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C’était lancer, presque en aveugle, une boulette de papier à travers l’openspace, entendre un grognement et voir la boulette repartir, ailleurs, et être encore lancée plusieurs fois jusqu’à ce qu’elle revienne à soi ; la relancer et ainsi de suite pendant une ou deux minutes, rarement plus et sourire de cette courte détente, de ce menu chaos qui n’interrompait pas l’ordre supérieur de la productivité.


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Il faut que quelque chose craque. Que la foudre tombe au travers de la densité de la matière compacte à fondre. Pour que l’air soit, et qu’aussitôt il soit en feu. Pour que la terre s’ouvre et rende la vue possible, que les difformes à yeux sortent d’elle et éberlués trouvent la vue et découvre qu’il est une telle façon de percevoir l’univers par sa texture calcinée et son paysage dévasté. De ne plus seulement nous contenir l’espace se découvrira sidérant et terrifiant.


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Les petites choses Il suffit parfois d’un sourire sur le visage d’un inconnu : on l’attrape, on le glisse dans sa poche et toute la journée, on sait qu’il est là, contre soi. Il suffit d’un mot chuchoté, d’une poignée de mains, d’un léger contact, d’un baiser : le temps devient radieux. Il suffit d’un pas crissant sur le gravier, d’une petite marche sur un chemin jonché de feuilles d’automne, d’un clapotis, d’un vieux banc dans un coin pour que mille souvenirs affleurent et nous enchantent. Il suffit d’un rayon de soleil pour que nos sens s’aiguisent. Il suffit d’une cloche tintant dans le lointain, d’un oiseau prenant son envol, d’une petite fleur au bord d’un chemin et la journée prend des airs de fête.… Il suffit d’une vague un peu forte, de la caresse du vent… Il suffit d’un nuage qui se gonfle ou s’étire, d’un caillou, d’un galet ramassé… Il suffit d’une voix, d’un cri, d’un raclement de gorge, d’un rire étouffé, d’un petit geste anodin pour se sentir complice…Il suffit d’une chevelure, d’une silhouette entrevue, d’une ombre pour réunir en soi quelques amis lointains… Il suffit d’un volet entrouvert, d’une porte qui grince, de rideaux tirés, d’une lumière filtrant dans la nuit, d’un chat dormant sur un mur pour se sentir vivant… Il suffit d’un parfum d’herbe fraîchement coupée, d’une odeur de mousse, de fumier, de feu de bois pour s’évader un temps… Il suffit d’un dessin d’enfant, d’un livre ouvert, d’un crayon, d’un pinceau, la flamme d’une bougie pour imaginer, s’émerveiller de ses rêves… Il suffit d’un ciel limpide, d’un ciel d’orage, d’une nuit étoilée et nous voilà poète… Il suffit d’un bon pain, d’une cuillère de confiture, d’un verre de vin, d’un café, d’une odeur de brioche pour être réconforté. Il suffit d’une main tendue, d’une caresse donnée, de petites phrases simples, d’une lettre envoyée ou reçue, d’un mot tendre, d’un regard, d’une chanson, d’un livre partagé… de petites choses, mille petites choses, des « presque rien » qui comptent plus que tout.