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C’était, le soir, remonter à pied d’une ou deux stations pour avoir plus de place, debout quelque part contre les portes, se dire qu’on serait mieux à faire grève, et qu’en plus les choses changeraient peut-être, enfin, en mieux, mais penser aussitôt au risque, au regard de la hiérarchie, et puis sans les collègues, seul en grève, à quoi bon ? Penser à l'échec du mouvement, à demain, à soi. C’était la peur.
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Solange avait un curieux rapport à la nourriture. Manger signifiait grossir, développer des rondeurs, des bourrelets disgracieux ; c’était se laisser dominer par sa gloutonnerie, avouer un manque coupable de volonté, s’abandonner à ses sens primaires. C’était laisser ses instincts, ses bas instincts prendre le dessus sur sa raison ; c’était s’afficher comme être non civilisé. Alors Solange, déterminée, intraitable, sans jamais se laisser aller à une quelconque exception, picorait radis et crevettes, grignotait des carottes, broutait d’immenses pâturages de brocolis, de laitue, de haricots, de poireaux, de fenouil, suçotait poires, pommes, pêches et abricots en saison, lampait des yaourts nature, se mesurait les féculents, s’interdisait fromage, pain et dessert. Mais Solange rêvait… de choucroute débordante de saucisses, knacks, cervelas et gendarmes ; de pizzas enjambonnées jusqu’à la garde, coiffées de rasades de parmesans ; de pâtes noyées de sauce roquefort ; de millefeuille de crêpes suintantes de chocolat chaud. Au fil des années, Solange ruminait au sens propre quelques graines séchées et au sens figuré ses obsessions culinaires. A tout instant, elle pensait à la nourriture, celle qu’elle s’autoriserait au prochain repas ou celle qu’il lui faudrait repousser. D’une façon ou d’une autre, la nourriture occupait chaque parcelle de sa cervelle, à tout instant.