mercredi 13 octobre 2010

335 : mardi 12 octobre 2010

On demande à un homme de rédiger l’oraison funèbre de son meilleur ami. Tentant de résumer une vie complexe comme, de toute éternité, elles le sont toutes et toujours, c’est héroïquement qu’il s’élance dans les évocations scalaires de l’enfance, de l’adolescence et des phases les plus marquantes de l’âge adulte… Ne voulant en rien le céder au démon de l’oubli, il s’attache alors à mentionner les rires comme les faiblesses, les habitudes comme les passions, les souvenirs, les lieux, les voyages, les hommes, les femmes et toutes les formes de rencontres éprouvées par son ami jusqu’à sa mort. Devant les risques géométriques de l’exercice, il décide d’ébaucher un plan, d’étayer la mémoire sans pour autant entraver la vérité. Il fait des parties. Il fait des sous-parties. Il écrit des appels de note et des commentaires. Il trace des listes de noms, des listes d’époques, d’espaces, de choses et de détails allant du plus remarquable au plus minuscule ; remesurant ainsi la gloire à l’une de la boue. Au terme de plusieurs nuits d’insomnie, après avoir noirci des carnets et des pages, il est enfin en mesure de produire le texte juste : Ce digne portrait, capable de se refléter avec efficacité dans les yeux de tous. Peu avant la cérémonie de deuil, il se relit une dernière fois, machinalement. Mais il est alors saisi d’un geste frénétique. Se mettant à rayer à grands traits toutes ses notes, il les roule soudain en boule avant que de les jeter aux ordures. L’ami cher qu’il avait tenté de dépeindre avec acharnement au beau milieu de quelques phrases plus ou moins bien tournées, cet homme, ce tas de viande et d’âme, n’est pas là. Il ne tient pas dans ce pauvre carcan d’encre et de papier. La pâle lumière qui chantait sur l’arête de ces misérables débris n’était en rien celle de l’ami disparu. Ce n’était que lui-même.

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Ce n’était qu’une centaine de mètres après les sous-bois, la prairie qui descendait en pente douce, qu’il fallait traverser avant de passer entre le grand pin et l’entassement des bûches, et on serait à la maison. La pleine lune éclairait tout à plat, tout en gris, le ciel était clair et l’air un peu frais, l’haleine formait de petites nuées. Le chemin était trop court, les lampadaires de la rue montraient déjà leurs halos oranges. Je me suis assis dans les herbes hautes au bord du sentier en courbe, dont mes trajets fréquents étaient les principaux auteurs, pour prolonger un peu l’instant. Je tentai d’imaginer en plans de cinéma des parcelles de la nuit claire que mon champ de vision embrassait. L’intensification émotive espérée se fît, et se fît décevante, le hors-champ ne serait jamais que hors de la vue.


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C’était aller travailler malgré la grève, d’accord avec mais pas syndiqué, au bureau personne syndiqué, personne de proche en tous cas. Se lever plus tôt pour prendre le train sur trois en espérant pouvoir y entrer, assez facile car la plupart des autres démocrates avaient posé une RTT, et puis c’était finalement trois trains sur quatre ; marcher malgré tout plus que de coutume au-dessus des lignes de métro, marcher une heure, marcher deux heures s’il le fallait, comme par une silencieuse solidarité.