lundi 25 octobre 2010

347 : dimanche 24 octobre 2010

Lettre d’amour à une inconnue (10/18) Après la dissipation du trouble initial, j’ai gardé votre visage en mon esprit comme une obsession qui n’avait pourtant été jusque là que masculine. Je raffole d’hommes et n’accorde un véritable intérêt à la gent féminine que lorsque cette dernière empiète sur mon terrain amoureux. Mais puisque cette ritournelle lascive me trotte dans la tête, il me paraît plus sain de vous en faire la confidence et j’espère mois lourdement que les avances que vous avez l’habitude de recevoir ou que je recueille de mon côté.


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Je me réveillai tard, aujourd’hui, mais je fus très rapidement hors du sommeil, sans plus aucun engourdissement du corps ni de l’esprit, en quelques instants. La sensation générale de mon corps était très agréable, comme si j’étais parfaitement reposé et plein d’une énergie abondante mais totalement sous mon contrôle, tant et si pied que je ne me souvins du pied qui me souciait la veille qu’après quelques minutes. Il n’était plus douloureux, aussi mon cerveau ne fut pas sommé de lui accorder une quelconque attention. Je me le rappelai tout de même, bientôt, et ne pus croire ce que je vis à l’extrémité de ma jambe gauche. L’intégralité de mon pied n’était plus qu’un seul orteil, de la taille que la veille encore avait mon pied, celle d’ailleurs qu’avait toujours mon autre pied. Aucune douleur. Panique totale. L’orteil grossi conserve une assez bonne fonction de pied, il m’est encore possible de marcher sans claudiquer, je ne peux par contre enfiler aucune de mes chaussures gauches. Je surveille le phénomène en permanence. Sans repère, je ne serais plus capable de dire si la transformation de mon corps en orteil en train de se poursuivre, ou si elle s’est déjà arrêtée. Il me semble qu’elle continue, mais je ne saurais exclure que la panique altère de façon considérable mon jugement.


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Le lumbago (4/5) : Le cabinet se trouvait dans un quartier chic de la capitale. “Mais combien ça va me coûter cette histoire ?” se demanda-t-elle en franchissant la lourde porte cochère qui protégeait une cour intérieure impeccablement tenue, pavée et très fleurie. Un sexagénaire aux cheveux longs et blancs vint lui ouvrir la porte et lui donner une poignée de main bien sèche avant de disparaître dans son bureau en la priant de patienter. La salle d’attente était vraiment atypique, basse de plafond, encombrée de chaises dépareillées chinées à la brocante et de tableaux étranges où peintures et matières diverses se côtoyaient : lames de rasoirs, clous, algues, graines de sésame et sable noir... Pas de porte-revues mais quelques guéridons avec sans doute les cartes de visites d’amis restaurateurs, galeristes, libraires. Pas banal. Elle était en pleine contemplation lorsqu’une porte qu’elle n’avait d’abord pas vue s’ouvrit brusquement sur sa droite. Elle encadrait le visage souriant du spécialiste comme un clown sorti de sa boîte. Elle n’avait plus qu’à le suivre. Elle fut frappée par le nombre de paires de lunettes qui se trouvaient dans cette nouvelle pièce étroite : 5 sur un abat-jour, 2 sur le bureau du praticien. Elle ne put s’empêcher d’en faire la remarque. “Oui, répondit-il, en effet, je les perds tout le temps et je déteste chercher.” C’est alors seulement qu’elle vit qu’en plus de la paire de lunettes chaussée sur le bout de son nez, il en dépassait une de la poche de sa chemise. Le téléphone sonna. “Oui Michel qu’est-ce que je peux pour toi ? Encore ? Mais je t’avais dit de faire gaffe quelques jours, c’était trop te demander. Tu peux mardi ? Jeudi ? 15h ? Non ! Arrête tes conneries je bosse là. Bon je te rappelle.” Cet homme lui était très sympathique. Et quand elle sortit de chez lui, même si elle avait toujours mal, elle s’était aussi redressée et marchait presque normalement, à ceci près qu’elle avait ralenti son allure. Il ne lui avait pas demandé un centime. “La prochaine fois ! avait-il dit.” A peine remontée dans le taxi, l’assistante de son employeur l’appelait pour savoir si oui ou non on pouvait compter sur elle pour aller en Angleterre le mercredi suivant. Comme à son habitude, elle avait ce ton déplaisant et hautain qui cherche à humilier son interlocuteur. “Je ne sais pas Marie-Astrid, je vais faire mon possible mais je ne peux rien vous garantir.” En raccrochant elle avait pris sa décision, il n’était pas question de se donner autant de mal pour le peu d’égards qu’on lui accordait.