Depuis six mois qu'il venait chaque jour prendre son poste dans le grand cylindre gris dominant une esplanade cimentée et bordé d'autres immeubles aux vitres sombres, et qu'il empruntait quotidiennement les escaliers qui descendaient au second sous-sol et le couloir qui menait à la petite pièce où il était affecté, il n'avait jamais croisé personne dans les locaux de la société. Un jour à l'heure du déjeuner, s'étant aventuré un peu plus loin dans le couloir, il avait découvert, après un coude dans la trajectoire et une cinquantaine de mètres plus loin, un cagibi sans porte, un peu plus petit que la pièce où il travaillait et qui comme elle, et de même que le couloir et les escaliers, était éclairée par des tubes néons que l'on ne pouvait éteindre. L'endroit servait de local pour le ménage, avec ses bassines, ses détergents et ses aspirateurs. Les serpillères n'étaient pas tout à fait sèches, les lieux et les équipements qui s'y trouvaient étaient donc toujours utilisés par une équipe de ménage aux horaires de travail différentes des siennes, nocturnes probablement. Poursuivant son chemin dans le couloir, il arriva après un autre coude du corridor à une porte métallique beige que son badge n'ouvrait pas. Il avait exploré tout ce qui lui était accessible. Dans la pièce où il était affecté, assis sur une chaise en plastique orange et devant une table en bois aggloméré, il recevait des plis qui lui arrivaient par un tuyau sur sa gauche. Il devait alors noter dans les colonnes d'un registre le nom de l'expéditeur du pli, la société pour le compte de laquelle il l'avait posté, le nom du destinataire du pli et le service dont il dépendait, ainsi que la date et l'heure auxquelles la saisie était effectuée dans le registre. Une fois qu'il avait noté ces éléments, il glissait, à travers une fente, le pli dans un tuyau plongeant dans le sol sur sa droite, qui aspirait la missive dans un bruit de suscion et la conduisait ailleurs. Les registres complétés étaient rangés par ses soins en bas de l'armoire anthracite située derrière sa chaise, en haut de laquelle il trouvait les registres vierges et les stylos. À bien y réfléchir, il se rappelait avoir aperçu quelqu'un une fois dans le couloir. Quand elle l'avait vu, la personne avait pris peur et fait chemin arrière à pas rapides. Quelques secondes plus tard, il avait entendu claquer la porte par laquelle il entrait chaque matin et sortait chaque soir. Le lendemain, il avait trouvé sur sa table de travail une feuille de papier avec en-tête de la société, qui portait le message suivant : "Cher collaborateur, nous attirons votre attention sur le point suivant : il est impératif que vous vous assuriez, après chacun de vos passages, que la porte n° 0-24 est correctement refermée. Vous savez comme nous qu'il est d'une importance capitale qu'aucune personne non accréditée ne puisse s'introduire sur le site de notre organisation. Cordialement. Les Services Généraux."