La route droite entre les rangées de platanes court au milieu des champs, et seuls quelques uns d'entre eux sont encore cultivés, de pommes de terre ou de choux. La plupart sont délaissés, envahis par des jungles de rudérales. Un très beau paysage mais si triste. On voit parfois une ferme au bout d'un chemin et à l'horizon des bourgs nains et des hameaux. Les derniers villages qu'ils avaient traversés semblaient totalement déserts, ils ne devaient pas tous l'être tout à fait, le drapeau flottait encore sur la façade de la mairie de plusieurs d'entre eux. Mais ils n'avaient croisé personne, n'avaient vu aux maisons que des volets fermés, quelques-uns arrachés et les vitres des fenêtres qu'ils ne protégeaient plus brisées, ils avaient vu les rideaux métalliques baissés devant les portes des bars-tabacs, des boulangeries, des stations-services et des supérettes, et le blanc d'Espagne étalé sur les vitrines, et même pas d'affiche d'agence immobilière ou d'office notarial pour proposer la vente. Plus que quelques kilomètres à parcourir encore et la route s'arrêterait à l'orée des marécages. Les bacs qui faisaient traverser aux véhicules les grands canaux étaient désaffectés désormais, il faudrait laisser la voiture et trouver à temps une embarcation pour les avoir franchis avant la nuit. Sinon il faudrait dormir sur place et remettre la traversée au lendemain. Sur la place du passager, Caroline pleurait sans sanglot depuis plus d'une heure maintenant, effondrée d'avoir dû quitter la ville, et suivre le chemin inverse de tous ceux d'ici qui avaient choisi l'exode.