vendredi 27 novembre 2009

15 : jeudi 26 novembre 2009

Les personnes qu'il connaissait le mieux à l'enterrement étaient le prêtre et le croquemort, rencontrés la première fois l'avant-veille pour les préparatifs. Ils étaient quatre à l'enterrement, pour inhumer sa mère. Quatre personnes, lui compris, sans compter le prêtre ni le croquemort. Et avant ce jour, il n'avait vu de toute sa vie aucune des trois personnes. Ou alors lorsqu'il était enfant, peut-être, les deux d'entre elles qui semblaient avoir l'âge de sa mère, mais il n'en avait aucun souvenir. Autant dire, puisque c'est exactement la même chose, qu'il ne les avait jamais vues avant ce jour. Il était par contre parfaitement sûr qu'il n'avait jamais vu la troisième personne, une adolescente au physique andin, de vingt ans sa cadette à peu près. Sa mère avait eu, comme on dit, plusieurs vies. Alors qu'il avait environ cinq ans, elle était partie sans prévenir ni laisser d'adresse. Un matin, elle n'était plus là. Ni son père, avec lequel il passerait seul la quinzaine d'années qui allait suivre, ni aucune des connaissances et amis de sa mère avec lesquels son père et lui couperaient progressivement les ponts, ne lui semblaient avoir la moindre information ni la moindre nouvelle au sujet de sa génitrice. Pourtant, un lien qui lui était parfaitement obscur avait dû subsister entre sa mère et son ancienne vie, car lorsqu'il avait vingt ans, quand son père était mort, sa mère disparue était revenue la semaine suivante, pour ne pas laisser son rejeton seul, sans foyer ni protection. Elle avait donc appris la mort de l'époux qu'elle avait laissé. Des quinze années de son autre vie, elle avait toujours refusé de dire quoi que ce soit, ni où elle les avaient passées, ni avec qui, ni à quoi faire, ni même la façon dont elle avait su que son toujours fils venait de perdre son père. À ce sujet, elle se contentait d'exclusivement formuler qu'elle avait de toute façon rompu tout lien et toute attache avec ces quinze années, que plus rien n'en comptait. En regardant le visage andin de l'adolescente, il imagina sa mère durant quinze ans au Chili, en Bolivie ou au Pérou, y donnant naissance à une fille qui serait l'adolescente inconnue, assez belle et très distante qui se tenait debout à quelques mètres de lui dans le cimetière, et qui serait sa demi-sœur, une demi-sœur ayant su que leur mère était morte à l'autre bout du monde, comme la défunte avait il y a dix ans appris, peut-être de l'autre bout du monde, que son père à lui seul venait de mourir. Ce qui rendait la situation totalement irréelle était la manière dont les trois inconnus se regardaient. Ils avaient entre eux des regards qui devaient ressembler aux siens sur eux : des regards de personnes qui ne sont jamais vues et qui cherchent en se dissimulant maladroitement le moindre indice à même de leur indiquer l'identité des autres. Par contre, il le voyait bien, ils n'avaient pas en sa direction ce regard enquêteur et ignorant, ils semblaient très bien savoir qui il était.