Il n'y pas de trace d'incendie, pas de suie sur les murs, aucune paroi ni meuble calciné. On ne sait pas ce qu'il s'est passé ici pour que la brasserie du coin soit ainsi évacuée de toute urgence, que les clients ne finissent pas leurs verres ni leurs plats, pour que le personnel ne range rien, ne retire même pas le couvert des tables. Tout le monde a fui, a déserté les lieux, laissés tels quels. Ni une attaque criminelle, ni une fuite de gaz, ni une personne devenue folle furieuse, ni une émeute ne pourraient expliquer qu'après l'évacuation d'urgence, on ne soit pas revenu sur les lieux, pour laver, ranger, réparer au besoin. Ici, ce retour n'eut pas lieu, la poussière blanchâtre qui recouvre tout dit le temps accumulé depuis que plus rien ne s'est passé ici, rien d'autre que de la poussière qui se dépose et que, entrées par les vitrines brisées, des feuilles mortes qui s'accumulent dans les coins de la salle et contre les pieds des tables et des chaises. En un instant, la brasserie du coin a cessé d'être un lieu affairé comme peut l'être une brasserie de quartier proche de sites touristiques, pour devenir une friche, mais une friche dont chaque élément jusqu'au plus modeste est resté en place, comme si l'on avait instantanément tout congelé. Le vin et le café, la bière et le soda ont fini de s'évaporer des tasses et des verres, mais leur trace y demeure sur les parois. Dans les assiettes, ce sont des miettes, des restes de croque-monsieurs, de salades et de steaks-frites gagnés par la moisissure qui perdurent.