Fatigue bénigne, celle que l'on éprouve à la suite de nuits trop courtes, ou d'un mauvais sommeil, au cours des journées de période d'insomnie. On trouve une vigueur nerveuse et une sensibilité émotionnelle neuve, une fragilité dans l'assurance de ses propres capacités à maintenir sa personnalité hors des dangers qui, croît-on alors à tort ou à raison, menaceraient de la dissoudre, ou du moins de sévèrement l'attaquer, à la manière d'un concentré d'acide. Le monde semble davantage consubstantiel à l'esprit, comme s'il y avait une peau entre eux dont on prendrait soudain conscience, et que celle-ci serait devenue fine, douloureuse, érogène aussi. L'activité mentale engage bien plus pleinement les sensations physiques, et cette conjonction vous fait vous sentir, pense-t'on, dans un lieu de plus grande justesse, une véritable partie du monde réel, disponible pour les illuminations. Une angoisse existentielle dans cette situation psychique est sans fond, effroyable, car elle vous semble être le simple et incontestable dévoilement du fond ontolgique du monde et de son existence dont on est un atome perdu - elle rend schopenhauerien. Plus rarement je pense, cette fatigue peut, au cours d'une insomnie, progressivement rendre moins rétive au concept d'un possible dieu transcendant ayant la forme d'une entité distincte une personne qui s'était couchée sceptique, voire la trouver au lever, si le sommeil n'est pas venu entre temps, croyante, prise dans un flux de force et de faiblesse entremêlées. Le scepticisme retrouvera sa place après un repos réparateur. La fatigue du corps en souffrance de sommeil rend métaphysicien, mais à la position d'expérimentateur, non de théoricien.