dimanche 20 décembre 2009

38 : samedi 19 décembre 2009

Le cœur battait très fort et c'était dur de ne pas reculer alors qu'il en était encore temps, qu'il n'avait pas encore commis l'irréparable auquel il s'apprêtait. De ses yeux auxquels il avait laissé tout le temps de s'habituer à la nuit - le temps de se demander quelques fois supplémentaires s'il voulait vraiment le faire, le temps d'engluer plus profondément son esprit dans l'obscurité -, il voyait les myriades d'étoiles au fond du ciel transparent, la silhouette de la maison en bois, celle du garage près d'elle, et la ligne plus claire de l'allée asphaltée qui y menait en courbes douces entre les champs. Parvenu à proximité de la propriété, il posa au sol les deux jerricanes sortis du coffre de la voiture qu'il avait stationnée un peu avant, non sans avoir auparavant fait son demi-tour - prête à repartir, les portières pas verrouillées et la clé restée fichée dans le démarreur. À partir de l'instant imminent où il reprendrait dans chacune de ses mains les bidons d'essence et qu'il comblerait les derniers mètres jusqu'à la maison, il devrait absolument veiller à ne pas faire le moindre bruit, à faire en sorte qu'il ne puisse quasiment pas s'entendre lui-même, lui qui savait qu'il était là et ce pour quoi il l'était - sinon il plongerait aussi dans la catastrophe qu'il allait déclencher. Une fois contre le mur de la maison, si près qu'il aurait pu la toucher s'il avait tendu le bras vers elle, le souffle court douloureusement retenu, tremblant comme une feuille, il ouvrit avec précaution les deux bouchons, les rangea dans une poche de son manteau et reçut au fond des narines les effluves d'hydrocarbure. Un nouveau moment de suspension, de doute immense. S'il le faisait comme il l'avait prévu et décidé, dans un instant sa vie ne serait plus jamais la-même. Il avait vu les deux voitures stationnées de front dans le garage à la porte ouverte, comme elle l'était toujours l'année dernière puisque ici rien n'a changé, que la vie ici a pu continuer comme avant, alors que lui avait dû tant souffrir et tant changer pour retrouver la surface, et qu'il allait encore devoir tout changer après ça ; les deux voitures stationnées, celle des parents et celle qu'utilisent les jumelles pour les sorties et le trajet jusqu'à l'université. C'est-à-dire que tout le monde était à la maison, comme il l'avait voulu. Il écarta le tourbillon de doute qui affolait ses pensées en repensant au jeu qu'avaient eu les jumelles avec lui, au plaisir qu'elles en avaient tiré et à la torture que ce lui fut, en repensant aussi à l'air doucereux, entendu et légèrement moqueur des parents quand ils l'accueillaient les après-midis qu'il venait passer ici. Il s'appliqua extrêmement pour bien verser l'essence, le plus délicatement possible, en arrosant le bas des murs de bois tout autour de la maison, le tour complet, porte d'entrée incluse. Très peu de bruit mais est-ce assez peu ? Si on l'entendait maintenant, lui ici sans avoir rien à y faire, rien de bon, rien de bienvenu, avec deux jerricanes et l'odeur d'essence à plein nez. Alors il serait fini, aussi cramé qu'il avait désiré et prévu que la maison et ceux qui y dorment le soient. Quelques dernières interrogations plus pragmatiques car il n'était plus aussi sûr que c'est ainsi qu'on peut incendier une maison, ce n'était qu'ainsi qu'il avait lu dans des romans et vu dans des films qu'on le faisait. Il fit confiance au bois, sortit un briquet, et un torchon qu'il imbiba puis jeta enflammé dans une flaque d'essence au pied du mur.