vendredi 4 décembre 2009

22 : jeudi 3 décembre 2009

Quand les quatre coups secs furent fortement frappés à la porte, les deux filles et leur père furent très surpris. Il faisait nuit depuis près de trois heures et personne n'était attendu. Nul ne venait jamais ici sans être attendu, car ici était loin de tout, ici la maison solitaire en haut de sa colline n'était le long d'aucun chemin qui menât où que ce fût, et personne n'aurait pris le risque de venir jusqu'ici sans s'être auparavant assuré qu'il ne trouverait pas la maison vide, et par ce froid d'hiver. Aussi quand les coups retentirent sur l'épaisse porte de bois les filles prirent peur et le père montra de la mauvaise humeur. Rien ne se passa pendant de longs instants, les deux filles restèrent immobiles à leur place et le père assis sur sa chaise. Elles attendaient qu'il prenne une décision, il attendait que l'importun s'en aille, ou peut-être préférait-il le faire attendre dans le froid afin qu'il payât de vif inconfort son effronterie. Le père se leva enfin vers la porte, l'ouvrit et vit un homme sans âge, pâle, les cheveux blancs et le regard gris, la peau fine qui laissait transparaître les veines bleues. L'homme pâle ne dit pas le moindre mot, le père le fit entrer et assoir à table, les filles allèrent lui chercher chaise, assiette et couverts, sans aucun mot. Dans un silence de plomb, pas un seul mot, tous mutiques, ils dînèrent à quatre. Après avoir fini son assiette de potée au chou, l'homme pâle se leva, retira de la patère proche de la porte le long manteau noir qu'il y avait suspendu en entrant, et posant sa main gantée sur la poignée de la porte fit pour la première fois entendre sa voix : "Au prochain lever du jour, vous serez remerciés pour votre hospitalité et pour le repas que vous m'avez offert, la réalité profonde du monde sera alors sous vos yeux et portée à votre connaissance." Il ouvrit la porte, sortit et la referma derrière lui, laissant ses hôtes pétrifiés et muets. Après une courte nuit, le père et ses filles se levèrent pour voir le lever du jour, pour voir que tout autour de la colline le monde entier avait été englouti sous la boue. La colline n'était plus qu'une île minuscule au milieu d'un océan de fange.