Au volant de son fourgon blanc, Éric Garcia suivait la route qui longe les crêtes en bordure du plateau. Lorsque l'on vient de l'arrière-pays par ce chemin, comme lui ce jour, c'est quand on tourne pour emprunter cette route en bordure du parapet rocheux que l'on voit pour la première fois la mer, quelques kilomètres en contrebas toute la baie des Pistons, avec l'agglomération de Sainte-Armelle et son port au fond de l'anse, les dunes ondoyant tout au long du rivage et quelques centaines de mètres derrière elles l'étendue tendre des marais qui reflète le bleu du ciel et les nuages lorsque l'eau y est haute et la lumière claire. Éric Garcia ne pouvait approcher Sainte-Armelle-des-Pistons sans inquiétude depuis qu'il avait dû quitter précipitamment la ville, quelques mois auparavant, pour tenter d'éviter que les mâchoires du piège dans lequel il s'était laissé choir ne se referment sur lui, ne le broient. Dans la hâte de sa fuite, il n'avait pu éliminer toutes les traces compromettantes des activités délicates qu'il avait à Sainte-Armelle, et il en était très conscient. Le bourbier dont il s'était extrait in extremis pouvait, si le bourbier en décidait ainsi, ne pas en avoir fini avec lui, et Garcia savait trop bien que Jean-Yves Verrier n'est pas homme à dissuader un bourbier de revenir à la charge s'il y voit quelque possibilité d'en tirer avantage ou un moyen de régler une affaire personnelle. S'il n'avait jamais remis les pieds à Saint-Armelle-des-Pistons, ce qu'il n'aurait fait que sous la menace, sous une pire menace, il devait chaque trimestre se rendre pendant plusieurs jours à une dizaine de kilomètres au nord de la petite station balnéaire, dans les marais, pour examiner l'état du parc d'éoliennes qui s'y trouvait planté. Il ne pouvait se trouver aux environs de Sainte-Armelle-des-Pistons sans régulièrement scruter les rétroviseurs de son fourgon et chacun des véhicules qu'il croisait sur la route. Une fois au pied des éoliennes, pendant tout le temps nécessaire à la réalisation des essais techniques et des observations qu'on lui demandait pour compléter ses rapports, son attention se maintenait tendue, aux aguets du moindre bruit d'un moteur de voiture aux alentours. Sa hantise était d'un jour voir arriver jusqu'à lui l'Audi de Jean-Yves Verrier, ou de tomber nez à nez avec lui, cet homme aux griffes duquel il avait dû s'échapper dans la panique.