jeudi 23 juin 2011

586 : mercredi 22 juin 2011

C’était déjeuner quand même en terrasse car, après tout, nous étions bien en juin, ne craignant pas les quelques gouttes qui ne faisaient que rebondir sur l’auvent déroulé puis tomber à côté de nous, rafraîchissant le frais, éclaboussant un peu nos pieds quand d’autres gouttes arrivaient directement sur le bord de notre table, nous passager d’un nuage très dilué tombé sur la ville, premier jour raccourci de l’année, premier pas vers l’hiver.


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Si Amandine ne s'était pas ennuyée au bureau, elle n'aurait pas regardé par la fenêtre, les nuages blancs magnifiques et perçant le ciel n'auraient pas attiré son attention, elle n'aurait pas cédé à la tentation de les prendre en photo avec son iPhone, ce dernier ne serait pas tombé par l'interstice de l'entrebâillement de la baie vitrée donnant 10 étages plus bas. Philippe ne l'aurait pas trouvée en pleur la tête sur son clavier, touché par son chagrin, ne l'aurait pas invitée à déjeuner, courtisée puis épousée. Parfois, l'ennui, ça a du bon...


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Rencontre III Ce matin-là, Aude se réveilla tard. Le soleil inondait la chambre. Elle avait passé toute la nuit à écrire. Son manuscrit était sous enveloppe, prêt à être envoyé à son éditeur. Elle se sentait libérée, hors du temps. La veille, elle avait pris conscience de sa chance : cette maison était à elle, elle mesurait et savourait maintenant le cadeau de sa grand-mère. C’était décidé, elle vivrait ici, la ville ne l’attirait plus. Depuis trois semaines, elle vivait au ralenti, entourée des meubles et des objets de celle qui l’avait tant aimée. Elle avait retrouvé toute sa correspondance, soigneusement rangée dans le petit coffret en nacre de la table de nuit. Des photos d’elle aussi, à tout âge, sur lesquelles elle souriait. Et puis des articles de revues littéraires : il n’en manquait pas un ! Au bas de chacun d’eux, sa grand-mère avait noté de sa belle écriture son avis sur chaque parution. Aude en avait été bouleversée ! Non pas de l’intérêt pour ses livres, mais des critiques avisées de cette femme qui avait appris à lire seule et qui s’exprimait d’une façon merveilleuse ! Elle comprenait subitement la phrase de Mathieu l’autre jour et s’en voulait de n’avoir pas pu venir plus souvent, surtout les derniers temps ! Mais elle n’aurait pu lui offrir qu’un visage défait, elle avait sombré ces derniers mois, jusqu’à ne plus savoir qui elle était ni où aller… Cela lui semblait loin maintenant, elle ne voulait plus y penser. Elle s’étira, prit une douche rapide, enfila sa salopette et dévala l’escalier, à la recherche du vieux vélo. Il était là, couvert de poussière mais en bon état. Elle grimpa dessus, traversa le jardin, ouvrit le petit portail et fila vers le village. La petite route serpentait à travers champs, l’air sentait bon, le ciel était pur, son humeur plutôt joyeuse. Elle s’arrêta chez le boulanger et, sans réfléchir, acheta trois tartes aux prunes et une tablette de chocolat noir, celui qu’elle affectionnait particulièrement. Puis elle prit la direction de l’étang. Il fallait qu’elle les voie ! Qu’ils lui racontent, qu’ils lui expliquent ce qu’ils avaient partagé avec sa grand-mère ! Elle reconnut tout de suite la petite maison blanche. Le lilas embaumait, il était magnifique, surtout le plus foncé. Elle posa son vélo contre un vieux banc en bois peint et frappa à la porte. C’est Pierre qui lui ouvrit et son grand sourire la rassura. « Entre, Aude ! On se tutoie, n’est-ce pas ? Mathieu dort encore, il a composé toute la nuit. Il a une commande, il te racontera. » Elle sursauta quand un gros chien noir se coucha sur ses pieds. « Je te présente Tempête. N’aie crainte, c’est le plus gentil chien du monde ! Il est juste un peu trop affectueux ! », s’exclama Pierre en la serrant dans ses bras. Aude était conquise et suivit Pierre sur la terrasse. Le café qu’il lui proposa était délicieux. Elle le regardait, fascinée par son exubérance. Quel âge avait-il ? La trentaine ? Un peu plus ? Elle l’écoutait raconter ses projets. Il la prit par la main et l’emmena dans son bureau. « Regarde, c’est là-dessus que je bosse. Tu vas me donner ton avis. » Elle n’y connaissait rien mais se surprit à prononcer quelques mots. C’était un beau projet, Pierre lui transmit en quelques minutes sa passion, lui montrant chaque plan, argumentant, réfléchissant à voix haute, la bousculant parfois pour améliorer un détail… Elle se prit au jeu, riant et se concentrant avec lui, comme s’ils se connaissaient depuis toujours. Elle se troubla soudain lorsqu’elle entendit derrière elle une voix grave, pleine de douceur : « Vous avez les yeux de votre grand-mère, vous l’a-t-on déjà dit ? »