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Je suis bien arrivée hier soir. J'ai entendu à la radio ce matin que vous étiez encore noyés sous la pluie. J'étais déjà si désolée de vous laisser ainsi... je me suis sentie vraiment lâcheuse. Ici la matinée était radieuse, avec juste un filet de brise, qui n'arrivait pas à retrousser les feuilles de mon petit citronnier, qui ridait l'eau sans créer de clapot dans le port, sous ma terrasse, qui était juste ce qu'il fallait pour alléger l'air. Je suis passée vers onze heures chez Jean pour lui amener la valise que tu m'avais confiée. Il finissait d'installer les quatre tables qu'il a obtenu de mettre en terrasse. C'est à son image, simple, sans rusticité artificielle. J'ai beaucoup aimé la décoration du restaurant que je n'avais vu qu'en travaux. Il a ouvert depuis une semaine et il m'a semblé très content. Il était complet hier soir. Bien entendu il y a ce long week-end de vacances. Mais je pense que le bouche à oreille va jouer. Je dine chez lui demain avec les X. Et, bien entendu, je lui ai promis que je t'amènerai le mois prochain si, comme je l'espère, tu peux te dégager et venir passer quelques jours. J'y compte. Tu sais que tu me l'a promis. C'est à cette condition que je t'embrasse.
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Le soir Gizelle l'imagine dans sa cuisine, un verre de vin rouge à la main. Il est appuyé nonchalamment contre le chambranle, à l'entrée pour ne pas géner sa femme qui cuisine ou qui range. La lumière l'éclaire chaleureusement alors qu'ils conversent, leurs trois enfants dorment, Gizelle rêve d'une image paisible qu'elle jalouse et qui la tourmente. Elle se roule en boule sous sa couette en serrant son téléphone dans sa main, mordant sa solitude et pleurant sa prison. Dix fois elle a voulu le quitter. Dix fois elle n'y est parvenue. Tous les soirs elle attend le mot qu'il voudra bien lui envoyer, quelques lignes arrachées à son quotidien qui l'accompagneront vers le sommeil.