mardi 7 juin 2011

570 : lundi 6 juin 2011

Léon commença à exercer le doute quand il apprit que la vérité pouvait pour les uns se trouver au fond d’un verre de vin et pour d’autres au fond d’un puits…


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C’était aller à la médecine du travail, rendez-vous reçu un mois auparavant, adresse d’une rue inconnue, assez loin à pied, loin des arrêts de bus, des stations de métro, savourer d’avance le temps de trajet qu’il faudrait faire à pied, se préparer à flâner, partir scandaleusement en avance pour « ne pas se perdre » mais tel collègue y avait déjà été et connaissait bien et donc pas besoin de se presser, se rasseoir, obligé, soupirer, se demander pourquoi celui-là l’avait ramené, se relever, prendre un café, y aller finalement, salle d’attente, attendre, deux autres à attendre, une femme la cinquantaine, visage rond, bras ronds, doigts ronds, maquillée trop, les cheveux colorés trop, les bijoux, tout trop doré, et associer sans preuve le parfum difficile, fruité, chimique, piquant et trop, qu’on avait senti en entrant, à elle ; un ouvrier du bâtiment au pantalon tâché de peinture, au pull élimé poussiéreux, au bob blanc grisâtre, aux mains sales avec du blanc dessus, peinture ou poussière, se dire que lui, d’accord, c’était utile qu’il vienne ici, mais nous, franchement ; se faire appeler, pisser dans le gobelet, le poser dans le passe-plat, répondre aux questions, non, non, non, jamais, non, pas à ma connaissance, non, parler un peu du mal de dos, de la chaise à cinq roulettes du bureau, de la hauteur de l’écran et de son inclinaison, de l’éclairage au néon de l’openspace, du bruit ambiant, hocher la tête, répondre au hochement de tête, regarder dans l’appareil plastique et métal les points blancs, les grilles blanches, les couleurs et les chiffres, croiser finalement le regard du médecin, penché sur son bureau, en sa blouse blanche bien repassée, comme neuve, avec son nom sur un badge doré, ses sourcils en pagaille gris comme ses cheveux commencent à l’être, sourire nerveux de côté, ses lunettes basses sur son nez, d’un modèle épais et simple remboursé par la Sécu, de ces modèles que les opticiens cachent dans des tiroirs, il gratte la feuille cartonnée jaune A3 pliée, marmonne, « attendez que la secrétaire vous appelle », attendre peu ; elle tend ce papier, y lire, en le sachant d’avance, forcément, mais désappointé de la même manière absurde qu’on constate qu’on a pas gagné les 50 millions de la cagnotte du loto, de cette surprise fausse, le papier blanc et vert au tampon gris : « APTE ». Se rattraper sur le trajet retour, s’arrêter même prendre un café dans une brasserie. Et y aller pour remettre son corps apte à la tâche.


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Elle ferme les yeux et inspire infiniment, cette goulée d'air sans début ni fin lui offre un répit entre les désirs des uns et les besoins des autres. Sa poitrine se soulève, lentement, les yeux fermés, les lèvres entre-ouvertes. Elle bloque, le temps se fige, puis elle exhale en prenant son temps et en savourant le calme de l'après, un peu comme un orgasme solitaire lent et intense présageant d'un sommeil réparateur et égoïste.