lundi 14 février 2011

458 : dimanche 13 février 2011

Léon supporta difficilement le rire gras du cocher quand il descendit du fiacre.

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Le CD sera en vente au bar. Il s’écoulera aisément, comme les boissons des néo-pubs. Acouphène s’épanouit à cette idée. Il lui faut créer cette compil’. Sur le trottoir, la grille tressaute à nouveau, le sifflement s’intensifie dans son oreille. Peut-être que l’enregistrement a fonctionné cette fois-ci. Vite, il enclenche son lecteur pour écouter le résultat. Le son numérisé est brut. Raboté par la grille qui a tremblé trop près. Ce son va fonctionner, pourtant... Si Acouphène le mixe avec un crissement de pneus, il obtiendra un bruit intolérable.


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Elle a le permis mais c'est lui qui conduit. La voiture continue malgré sa volonté, elle est passagère privée de ses droits, subissant le défilement de paysages et de routes. Leur rue calme bordée de pavillons clonés aux haies de lauriers impeccablement taillées, les villes de banlieues entassées autour de la capitales, essoufflées de moyens, décorées de géraniums et de pensées roses fuchsia. S'ensuit l'autoroute sous un ciel gris dont le reflet s'accorde au bitume. Elle est assise, elle serre les dents. Derrière elle, ses enfants sont correctement harnachés, les yeux vissés sur leurs consoles de jeux, leurs esprits passifs et silencieux. A côté d'elle, il conduit. Son énervement n'a duré qu'un temps, le temps de la rébellion de sa femme, le ton est monté jusqu'à ce qu'elle plie, qu'elle cède. C'est quand même plus simple comme ça, quand elle se tait, baisse les yeux, lorsqu'elle lui épargne ses envies contraires. Il y a des choses qui se font et des choses qui ne se font pas, et de quoi aurait-il eu l'air, vraiment, en arrivant chez ses parents sans elle pour le traditionnel repas du dimanche. Sa femme est belle, avenante et douce, il aime l'avoir à son bras, il aime quand elle reste à sa place, légèrement en retrait, légèrement derrière lui. Il conduit avec assurance, sa voiture file. Tout est bien. A côté de lui, elle regarde par la fenêtre, le visage lisse, les lèvres closes. Elle regarde par la fenêtre, elle s'échappe dans un ailleurs où elle est libre et où elle ose ses avis et ses choix. Elle serre les poings, ses ongles plantés dans ses paumes, retenant ce hurlement silencieux qui résonne en elle depuis des années.


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Tout semble figé en ce dimanche, le ciel a endossé son manteau de grisaille, les arbres dressés lancent un défi au vent qui ne les entend pas. Les rues sont désertes, la ville semble s’être endormie. Sur la grande place, une quarantaine de personnes sont réunies, en cercle, quelques unes avec des pancartes accrochées sur leur dos. Une grande banderole rouge tenue par quatre hommes témoigne du refus de la politique menée à l’égard des personnes sans papiers. Une protestation silencieuse, digne, d’une demi-heure, pour dire l’inacceptable. Une jeune fille tient sa pancarte à bout de bras. Je la regarde car elle est la seule à n’avoir pas trente ans. Nous tous, nous avons dépassé la cinquantaine. Je m’interroge, en observant tous ces cheveux blancs, ces messieurs avec une canne, ces femmes aux visages ridés. Où sont les jeunes de cette ville ? Sont-ils à ce point écœurés pour déserter ainsi les rares manifestations qui remuent un peu leur ville ? Ne se sentent-ils plus concernés ? Ils ont tous, pourtant, une connaissance, un ami, un proche touché par ce terrible problème. Faut-il nécessairement que l’on hurle, que l’on barre les rues, que l’on envahisse le centre des villes pour se faire entendre ? Sans-doute le jour et l’heure ne les motivaient-ils pas ? Le silence appartient à la vieillesse qui, pendant que la jeunesse dort, ose se prononcer et dire ce qui la bouleverse et combien il est essentiel de tenter de préserver l’être humain. C’est avec beaucoup d’indulgence envers leurs enfants qu’ils acceptent tous, ce matin, de se retrouver ainsi, unis dans leur réflexion, certains de leur choix à dénoncer l’intolérable, le total manque d’humanité, le mépris des lois, l’ignorance de la solidarité. C’est aussi avec un grand sourire qu’ils s’écartent pour laisser la place à un jeune père de trois tout petits qui vient les rejoindre, dirigeant d’une main la poussette et tenant de l’autre les deux plus grands.