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Dans la petite rue, certaines portes avaient été taguées, sans que l'on comprenne très bien comment le choix s'était fait puisqu'elles ne se suivaient pas. On pouvait remarquer seulement que c'étaient généralement portes simples de maisons ordinaires (celle de l'hôtel particulier était intacte) mais de façon assez aléatoire puisque la porte de Jeanne et celle de la seconde maison n'avaient pas été « ornées » mais que c'était le cas de panneaux de même style, ou de facture légèrement plus raffinée. Je supposais la main d'un premier dessinateur menée par une règle qui lui était propre, ou sa simple fantaisie, et l'attraction que ces premières lettres ou dessins exerçait sur les autres grapheurs. J'en doutais cependant légèrement parce que le décor de chaque porte, malgré les différences de teintes et d'épaisseurs des tracés, présentait une certaine unité.
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Le Secret d’Ernestine III C’est le premier février qu’Ernestine est tombée. Elle a glissé sur une plaque de verglas. Le garde-champêtre, qui l’a relevée, a lu avec surprise de la colère dans ses yeux. Elle était pâle et se tenait le poignet. Il l’a accompagnée chez le docteur François qui a diagnostiqué une double fracture. C’est ainsi qu’on a appris qu’elle était gauchère. Elle est rentrée chez elle, un peu troublée mais satisfaite d’avoir pu garder sa main gauche en état. Pendant deux jours, Ernestine est restée chez elle, donnant de ses nouvelles par le fenêtre entrouverte. Elle allait bien, oui, merci, elle n’avait besoin de rien, non, il ne fallait pas s’inquiéter ! Elle a gardé son plâtre deux mois. Un dimanche d’avril, elle s’est fâchée avec Pierre, le maire du village. Il voulait fermer la bibliothèque pour y installer une salle de cinéma. Tout le village a assisté à sa colère ! Elle n’a jamais autant parlé ! Elle a gagné, à la grande joie des enfants qui adorent se réfugier, le mercredi, dans la petite salle pleine de livres ! Pierre a finalement décidé d’offrir aux habitants un cinéma tout neuf, derrière la mairie. Ernestine n’y est jamais allée. Depuis quelques temps, elle semble préoccupée. La boulangère s’en est aperçue car pour la première fois, ce dimanche, elle n’a pas acheté sa brioche ! Beaucoup s’interrogent. C’est qu’elle tient sa place dans le village, Ernestine ! Elle est de plus en plus silencieuse, répond à peine quand on la questionne. Elle n’a plus de temps pour chacun. Gustave dit qu’elle vieillit, les enfants la trouvent bizarre, elle ne fait plus de sablés. Alors, on interroge la postière qui dévoile qu’elle a reçu dernièrement un gros paquet très lourd venant de la ville…Le soir, elle ferme ses volets plus tôt mais la petite lumière de la fenêtre du haut brille encore toute la nuit.
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Bertrand se souvenait, petit, être resté des heures devant le four, songeur, admirant la maîtrise de Julie face à cet engin que d’aucun aurait trouvé archaïque. Qui aujourd’hui utilisait encore la cuisinière de ses grand-mères ? Mais les jours de tempête, on trouvait toujours quelque chose de chaud à se mettre dans le ventre chez la vieille Julie. Elle ne dépendait ni de l’électricité, ni de ces bouteilles de gaz lourdes et encombrantes dont la plupart des maison étaient équipées. Sa maison était principalement chauffée grâce à deux solides cheminées et, si Bertrand se souvenait bien, il y avait deux radiateurs à huile, un dans la salle de bain, l’autre dans l’ancienne chambre de Candice. Là où elle devait dormir…