Les Albitins ont la main verte. Qu’ils effleurent seulement un silex, un grain de sable, un déchet non biodégradable et les voilà déjà la paume bourgeonnante. De vertes pousses se développent sur leurs bras et c’est une flore duveteuse qui les recouvre bientôt tout entiers. Leur barbe est de cresson et leur tignasse odorante comme cent printemps. Pas une once de leur corps - Arcimboldo s’en mord les lèvres dans sa tombe - qui ne soit fleur, feuille ou fruit. Leur vie durant, les Albitins avancent ainsi camouflés dans leur propre peau. Ils traversent en G.I. absolus de longs déserts de cendres auprès desquels ils se délesteraient bien un peu du tragique bonheur qui leur échoit.
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De Celle à M. J.-L. Bastard, Les Blaches, XX150 IZ — Bonsoir Vous êtes parti je pense depuis trois ou quatre jours, désormais Vous devez approcher. Vous devez ne plus être lointain. Votre courrier. Votre courrier m’a bouleversée. Non pas son ton roide qui aurait pu me désobliger, mais je passe sur vos bourrasques. C’est. La première lettre que. Je reçois. C’est. La première lettre. De vous. Que je reçois de vous. Depuis. Vous savez vous arrivez à la bonne saison. Des fleurs minuscules, multicolores, tapissent chaque recoin de la maison. Elles sont fragiles, des myriades de fleurs comme les empreintes d’une pluie récente. J’ai lu. Et relu. Votre lettre. Pour être bien certaine que ce n’était pas… autre chose. C’est idiot. Vous savez combien vous comptez pour moi, vous savez ce que, même en renâcle, vous m’apportez. Votre présence me réconforte. Cela fera dix ans, bientôt. Que. Cela fera dix ans, d’ailleurs, que je vous ai vu. Vous constaterez que la vie ne pas épargnée. Vous verrez ce que l’eau et l’air ont fait de mes mains. Vous verrez comment la douleur a pu tordre ce qu’autrefois — jadis— vous louiez de souplesse et de douceur. Je suis devenue tronc, fléchie, peut-être ingrate. Vous n’avez pas voulu de moi. Je vous l’ai fait payer. Cher. Mais je n’ai jamais pu me résoudre à entrevoir des lucioles. Vous le savez, chacun le sait sur le trajet, que la scie de ma colère s’est émoussée. Chacun sait, dans la marche, que je suis un tronc sec, mais apaisé. Le vent ne circule pas dans mes rameaux pour en faire siffler le silence, pour engorger sa solitude. Les années ne me tarissent pas tout à fait. Le carrefour transi et ses routes comme des racines ne me parviennent pas. Personne ne daigne apporter des nouvelles des hameaux, des familles, des troupeaux. Mais chacun sait — cela se lit sur leurs visages — chacun sait ce que je marmonne en vain. Ma douleur — mon désir — est plus flagrant que l’orage. Votre pied doit bien vous faire souffrir. Vous devez être harassé. Cette route est mauvaise. Pas étonnant pour un pays mauvais. Qui peut y conduire sans bris ? Et pourquoi s’y rendrait-on ? Vous. Vous. Vous rendez à moi. Et je vous attends. Je vous ai attendu. Depuis. Je ne vous accueille pas avec réserve, vous pourrez ouvrir les placards, changer le bouquet de lavande ; vous humerez l’effluve sur le feu ; vous cueillerez peut-être vous-même la sarriette qui manque au ragoût. Rien. Rien : ne sera plus comme avant. Les routes s’éloignent trop et tout votre amble n’y pourra rien changer. Je suis allongée, presque morte, sur le chemin que vous parcourrez. Je le suis depuis. Je l’ai toujours été. Je suis plus damée que la montagne même. Mes joues se rouillent de lichen. Mes cheveux s’enroncent. Mes membres étals, sont devenu plus fluets que ma voix. Je t’attends. Je n’ai pas ruiné toutes les cordes.