C’est un autre destin qui est réservé aux Sucrins. Ils développent en effet très tôt une forme pathologique d’hypersensibilité à la moindre présence féminine. Qu’un Sucrin entraperçoive un carré d’épaule dénudé à un arrêt de bus, qu’il respire l’effluve d’un foulard Hermès dans la file d’attente d’une boulangerie, qu’une paire d’yeux gris-vert se pose dans les siens derrière le guichet « toutes opérations » d’un bureau de poste, et ça y est, il aime. Il aime d’un amour qui ferait passer Petrarque pour un contrôleur des Impôts. Son sang s’échauffe, s’échauffe, puis viennent les gazouillis, les précipitations et pouf, le Sucrin s’évapore en une légère volute bleue que la Sucrine écarte aussitôt d’un revers de main délicat en étouffant un petit rire flatté. Une fois passé le temps de ces premières émotions, et, soyons justes, à défaut d’autre alternative, la Sucrine épouse généralement un Poivrard.