jeudi 28 juillet 2011

620 : mercredi 27 juillet 2011

Les Samoyards ne sont pas des rustres, pour autant qu’on sache leur en donner l’occasion. Encore faut-il s’y atteler avec une certaine vigilance. Car un bonjour prononcé avec l’accent alsacien, un col froissé qui dépasse du veston, une haleine anisée ou un léger crachin (qu’ils vous attribuent sans hésiter), et les voilà sortis de leurs gonds. Ce qui advient alors ? Il est plus utile de le craindre que supportable de l’entendre. Après quoi ils repartent, la gencive pendante et le cœur léger, vers leurs occupations citoyennes.


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Rencontre XXIII Pierre fit signe à Mathieu d’approcher tout doucement. La petite école de N. résonnait de voix et de rires d’enfants. On apercevait Fatou qui se démenait dans la seule classe regroupant tous les âges. La plus jeune avait cinq ans et le plus âgé avait seize ans : il devait préparer son examen pour l’entrée au lycée, à la ville. Mathieu se pencha et aperçut Aude, un peu à l’écart, au milieu d’un groupe de très jeunes enfants auxquels elle racontait des histoires. Elle était radieuse. Mathieu n’en revenait pas ! Elle avait opté pour la tenue des femmes africaines : un boubou coloré, dans les tons de bleu. Les cheveux tressés très serrés sur la tête, un très joli collier de fines perles foncées autour du cou, elle racontait, gestuelle à l’appui, comment le léopard parvenait à déjouer les ruses du serpent. Les petits poussaient de petits cris et se pressaient contre elle. Mathieu en eut les larmes aux yeux. Bon sang ! Qu’elle était belle ! Son visage avait perdu sa pâleur, elle respirait la joie de vivre ! Lorsque les enfants se levèrent, il s’approcha d’elle. Elle lâcha son livre et toute la classe fut témoin de leur long baiser. Le soir même, ce fut la fête au village. Les femmes avaient préparé toutes sortes de plats succulents, les jeunes filles dansaient. Mathieu s’était joint aux musiciens et improvisait avec sa flûte. Aude dansait avec les enfants. Lucie suivait du regard Antoine qui semblait heureux et détendu auprès d’une belle jeune femme nommée Espérance. La soirée était délicieuse ! Toutefois, Lucie se sentait très fatiguée. Depuis plusieurs jours, elle avait du mal à marcher et n’avait pas pu continuer l’atelier avec les enfants. La fresque attendrait… C’était pour bientôt, elle le sentait. Tout était prêt : Antoine avait pensé à tout et l’avait rassurée. Elle leva les yeux et croisa le regard de Pierre. Il était épuisé. Elle lui fit un petit signe et tous deux s’éclipsèrent jusqu’à leur petite maison. Beaucoup plus tard, quand les tambours s’étaient tus, elle entendit Mathieu et Aude rentrer. C’est avec un grand sourire qu’elle s’endormit. Cette nuit-là, les chuchotements durèrent longtemps. Deux êtres se retrouvant après un cataclysme… Mathieu était ému de la métamorphose de celle qu’il tenait dans ses bras. Elle ne s’arrêtait plus de lui raconter son retour à la vie. Il décida de taire tout ce qu’il avait appris. Elle ne parlait plus de l’accident, elle ne lui posait aucune question. C’était mieux ainsi. Lui seul s’en préoccuperait, quand il reviendrait. Lucie lui avait imposé le silence. « Elle construit son présent, elle renait, elle est comme un petit animal qui se met sur ses pattes pour la première fois et qui découvre son environnement, elle reste fragile mais sa détermination revient. Sais-tu qu’elle écrit des contes ? Tu devrais les lire, ils sont magnifiques ! » Mathieu n’avait pas besoin qu’on le persuade. Celle qu’il avait devant lui était vibrante de désir, elle lui clamait son amour sans retenue. Comme si elle avait brisé sa cage de verre. Elle se blottit contre lui, lui chuchotant, pour la première fois, son désir d’enfant.


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Tu trouvais un réconfort à sentir le vent claquer contre ton visage, emmêlant tes cheveux dans le crachin permanent et faisant pleurer tes yeux de fatigue et de froid.