lundi 10 mai 2010

179 : dimanche 9 mai 2010

"Je vous écris d'un pays lointain" (13) Partout se lisent les traces du vent dernier. Chacun voudrait que non, mais la dévastation est là. Chance que peu dans maison mienne, cette fois. Mais grande autour. Pays de plaine résiste peu au souffle rage. Beaucoup de villages sans plus rien debout. Alors files longues des troupes d’errance, à la recherche d’un lieu d’abri. Partout des camps pour eux. Les images s’égrènent terribles sur l’écran, et moi regarder mes mains en pleurant. Tellement d’eux sans plus rien et d’aller sans espoir. Je crois que c’est regarder sans faire qui met ruines au-dedans. Je songe que ces images jusque chez vous sûrement. Vraiment bien désolée que mon pays se donne à vous ainsi. Si vous pouviez avoir pensée de lui pendant les temps ordinaires. Tellement mieux quand beauté calme. Un jour peut-être vous viendrez, quand apaisées les cicatrices. Et vous verrez alors. Bien à vous, …

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Marie était arrivée chez elle au crépuscule, chez elle enfin, après ce trou qu'elle décidait, dents serrées, d'oublier, enchaînement d'un travail provisoire et astreignant, juste assez pour lui permettre de glisser inconsciente dans cette grande ville étrangère, d'un accident, d'une longue hospitalisation, juste assez pour y dissiper ses gains, d'une trop longue errance d'asile en asile, chez des parents et amis, pour reprendre force, tenter d'émerger, grâce et malgré les communautés où elle se trouvait propulsée, de récupérer son corps, renouer avec la sensation d'être au monde, sans réellement y parvenir. Elle avait souri, et puis flotté un peu dans la crainte que les murs, les meubles, aient perdu l'habitude de sa présence, et son corps retrouvait, sans presque qu'elle s'en rende compte, les gestes, les évitements, les enchaînements familiers. Elle avait trouvé un gratin dauphinois, une salade, un feu, un lit préparés par la vieille Madame Lepers, dîné rapidement sur la grande table de la cuisine, devant la cheminée - et c'était aussi simple et bon, que le fin sourire ridé et les yeux de son amie - pris un livre au hasard, s'était endormie dessus. Elle s'est réveillée assez tard. Le soleil faisait une grande tache sur la terre cuite du carrelage dans la cuisine. Elle s'est fait du café, a trouvé que son odeur était incomparable, a pris un bout de fromage, est sortie pieds nus, en liquette. Caresse encore un peu fraîche, piquante, mais attiédie, sur ses jambes, son cou, le haut de ses seins. Elle s'est cambrée, a regardé, s'est figée. De l'autre côté du ruisseau, au bout de son petit carré en désordre, les volets de la maison étaient ouverts, des draps séchaient, un édredon pendait de l'appui d'une fenêtre. Un mélange de réactions simultanées, sans qu'elle arrive à les ordonner. Le souvenir tendre et douloureux de ceux qui avaient habité là, le regret de la liberté qu'elle avait, au bout d'un certain temps, après la mort de la mère et le départ des autres, découvert peu à peu, savouré avec de moins en moins de honte, cette impunité, cette royauté sur ce petit espace sien, et puis aussi le plaisir de voir revivre ces murs, une petite curiosité, une petite crainte, l'idée découragée des rapports à établir, aussi cordiaux et aussi distants que possible. Elle a eu honte brusquement, a vérifié qu'aucun humain n'était visible, est rentrée s'habiller.

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Il existe de tels lieux dans le monde réel, laissés à l'écart, délaissés, tout près des sentiers battus, au cœur des villes et de leur agitation. L'effet de surprise que leur découverte déclenche est relatif à l'intensité de la sensation qu'il n'ont pas de place possible dans la trame serrée de la ville. Plus la concentration d'activité est dense juste autour plus il semble miraculeux, anormal et irréel que leur existence soit ici possible. La souveraineté de leur existence précaire et de leur invisibilité défie notre expérience courante du réel et valide en acte la puissance de l'imagination qui façonne, par delà toute hypothèse initialement crédible, la possibilité de tels replis aux creux du réel. Il s'agit là comme d'une pièce de tissu serré dans laquelle se trouverait un trou que nul ne serait capable de voir, et dans lequel nous marcherions désormais, comme en une réalité parallèle, non moins réelle cependant.