mercredi 5 mai 2010

174 : mardi 4 mai 2010

Un jour qu'il avait descendu du grenier le carton qui contenait les photos anciennes dont il s'était amusé un temps à constituer la collection au gré des brocantes, il se constata affecté par un curieux trouble. Il se reconnaissait sur les photographies. Il se voyait, lui, sous les traits de cet officier colonial moustachu, raidi de tout le corps et le bras posé sur la rambarde d'une terrasse dominant Pondichéry, il s'identifiait dans ce corps de femme en robe, assise et toute à son rire à bord d'une barque sur un lac de montagne. Il était le prêtre dominant de sa taille d'adulte sur la place de l'église les enfants partant à la procession. Il était le mort sur son lit, le visage affaissé et la peau cireuse dans des draps blancs qui ne montraient presque aucun pli. De la même façon de certitude cognitive pourtant non renseignée, il n'avait aucun doute sur les lieux où se déroulèrent les scènes rapportées par ces photographies sans légende ni signe suffisamment distinctif pour légitimer une telle connaissance. C'est près de Locarno qu'il était à bord d'une barque une femme rieuse, à La Flèche qu'il était prêtre et à La Tour-du-Pin qu'il était sur son lit de mort, comme c'était Pondichéry qu'aux Indes il pouvait, militaire et gradé, embrasser du regard depuis la terrasse. Puis son affection avait été complétée par la reconnaissance d'un homme-sandwich dans chacune des photos où il s'identifiait. L'homme-sandwich était figuré par un détail dans chaque photo, arbre, irrégularité de matière ou zone plus claire dans le ciel, et portait toujours le même message : "Quelle est la question à la réponse qu'on n'écoute goutte demain ?"