mercredi 31 mars 2010

139 : mardi 30 mars 2010

Ils s'étaient donné deux jours pour quitter leur appartement du centre-ville. Trois jours après la catastrophe, il était parvenu à convaincre Caroline qu'ils devaient partir. Caroline croyait que la fuite ne pourrait régler aucun des problèmes qu'ils devaient affronter, qu'elle ne ferait qu'ajouter des difficultés en les privant des quelques secours qu'ils trouveraient dans la familiarité de leur ville, dans leur meilleure connaissance de ses ressources que de celles de tout autre lieu, auprès des quelques amis qu'il leur y restait. En dépit de ces arguments, il ne démordait pas de son projet de fuite, car il avait entendu dire, de la bouche de personnes dont il s'était préalablement piqué d'admirer les capacités intellectuelles, qu'il était véritablement et sans mourir possible de quitter ce monde pour un autre dans lequel l'ardoise serait effacée et où ils pourraient recommencer comme s'il ne restait de leur existence antérieure que leur amour déjà commencé et des souvenirs, bons ou mauvais mais sans conséquences, à l'égal de songes. Le troisième jour après la catastrophe, il était revenu chez eux en lui montrant les documents qu'il était allé recueillir, auprès de l'entourage d'un de ces hommes hautement estimés de lui, par la bouche duquel la fuite n'avait en rien eu l'apparence d'une métaphore, ni d'un adolescent déni du monde des adultes, mais bien celle d'une possibilité réelle, dont on pouvait éprouver dans ses jours et définitivement l'effectivité. Il avait en rentrant étalé sur la table de leur salon les cartes traversées des lignes rouges dessinant les trajets jusqu'au passage principal, il avait lu à haute voix, les yeux rivés sur les pages des carnets qu'on lui avait remis, les notes et indications qui détaillaient les lieux par où ils devraient passer, les personnes qu'il leur faudrait trouver et où ils le pourraient, toutes les feuilles de route qui leur permettraient de rejoindre une contrée que certains des documents évoquaient très vaguement et qui prenait ainsi malgré tout quelque substance, aussi difficilement croyable qu'ait pu être l'existence d'un continent dont les cartes connues taisaient l'existence, et qui pourtant baignait dans les mers qui bordaient les littoraux familiers. Alors, Caroline s'était laissé convaincre de partir, et ils se donnèrent deux jours. Puis, il prendraient leur voiture et iraient à travers les régions rurales que l'on disait désertées, jusqu'aux marécages à la lisière desquels ils devraient trouver une embarcation.

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L'heure de la peur (12) Cela faisait un quart d’heure que je tentais une entrée en douceur. Des scellés partout que je n’arrivais pas à faire chuter. La maison comportait donc deux étages et une cave que l’on devinait à travers un soupirail grillagé. Je scrutais également la toiture en espérant un velux mais rien. Toujours rien. On croit toujours que les enquêtes se résolvent à la Conan Doyle mais mon cul, oui ! On marche à tâtons, dans le noir en cherchant la lumière. Et si vous êtes pieds nus sur du parquet, attention aux échardes ! Je me rendis à l’arrière de la maison où un petite porte de cagibi, lui-même attelé à la maison, semblait fragile. Je tiraillais sur les gonds pour vérifier leur solidité et m’armai d’un morceau de branche pour gratter le ciment. Remercié de mon zèle, les gonds se déchaussèrent. Je ne fis que retenir la porte afin d’éviter un trop grand bruit. J’entrai dan la maison et le cœur haut dans les tours, je me mis à fouiller tout ce que je pouvais. Armoire et tiroir, vide papier et classeur, chemise etc. Je ne trouvai que des documents officiels mais rien qui put me renseigner sur Nadine. Je montai à l’étage pour regarder derrière les différents tableaux, comme dans les films. Effectivement rien mais en m’asseyant dans un sofa rouge et malgré la pénombre de la chambre mon regard se fixait sur la poignée de porte. Elle était ronde et blanche avec une spirale noire. Je tournai et secouai la poignée mais rien. J’appuyai alors par intuition au centre de la poignée, celle-ci sauta. Un papier était enroulé à l’intérieur et sous forme de quatrain de collégien il était inscrit ceci : « Ceux qui en rond, le cœur livré au porcs, crèvent maintenant sur un carrelage, n’ont rien compris au message du décor. Il permettait simplement de sortir de l’esclavage. » En aparté était écrit « levez les yeux et tout deviendra clair. » Je courus donc à travers la maison et tout devint clair. La tarée avait raison ! Je me rendis donc sur les lieux du crime et là où se trouvait précédemment les corps, je regardai au plafond. Il y avait un lustre en laiton doré à quatre branches. Je montai sur une chaise et le décrochai. Un morceau de parpaing s’éclata sur le sol et j’aperçus dans le faux plafond, un carnet. J’exultai. Je remis plutôt mal que bien le lustre, rangeai la chaise et ramassai le parpaing. Je courus vers la sortie. Je laissai la porte de travers, on croira qu’elle est tombée. Telle est la réflexion que je me faisais, je n’avais plus le temps. J’entendis alors une démarche lourde qui venait. J’eus le temps de sauter dans un buisson, accrochant ma veste au passage. Le buisson bougeait encore, je me mordais les doigts. L’homme paraissait chercher quelque chose, il ne connaissait pas les lieux. J’espérai un journaliste du canard local, un coup sur la nuque suffirait. Je redoutai Grunswald, un pruneau eut suffit mais je n’étais pas armé. L’homme remarqua la cordelette coupée du scellé et rentra avec douceur : il déplaça la porte le long du mur adjacent. Il disparut dans les couloirs de la maison et en apercevant la lumière au travers des fenêtres, je courus malgré mes jambes coupées par la peur et tombai, nez à nez, sur une coupé cabriolet en double file. Je dégonflai les pneus par excès de courage et détalai comme un lapin. Je suis sûr que c’était Grunswald mais cela m’étonnais qu’il eut une caisse comme ça.

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Le Type au fond du couloir (4/6) Notre camarade n'entourait sa vie nocturne d'aucun mystère, pas plus qu'il ne s'étendait sur le sujet lorsqu'il « tenait salon ». Il était simplement admis que lorsque l'historien tirait le verrou derrière lui, ce n'était pas exactement pour dormir mais plutôt pour jouir d'une solitude dont nous l'avions allégrement privée tout au long de la journée. Nous savions aussi que la lumière ne s'éteindrait pas avant longtemps, que derrière cette porte des mains et un cerveau s'activeraient jusqu'au milieu de la nuit et que, finalement, chacun pourrait dès le lendemain et à loisir découvrir, observer, et pourquoi pas commenter le fruit de cette activité solitaire et compulsive.

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Rassemblant les bribes d’information dont je disposais à propos d’Armelle Potriat, puisque tel était le nom de la jeune femme que je recherchais dans cette ville bretonne, je repris espoir ; nous étions vendredi, en plein après-midi : elle devait se trouver au Lycée Chateaubriand où elle enseignait. M’enquérant du chemin à suivre auprès d’un jeune homme revêtu de vêtements aux couleurs indénombrables, je me vis proposer de parcourir ledit chemin à l’arrière du scooter non moins bigarré dont il était l’heureux détenteur. Il allait retrouver à la sortie de cet établissement quelque compère peu veinard qui devait subir pour terminer la semaine deux heures de cours de Français avec Monsieur Le Borgne, présentées comme pénibles, voire reloues. Sans m’en ouvrir à mon bariolé pilote, je jalousais les élèves d’Armelle qui devaient se délecter de ses cours de français supérieurement captivants : un délice, probablement, comparés aux prestations assommantes de Le Borgne. Je la rêvais encore, déclamant un sonnet devant sa classe ébahie, quand mon serviable arc-en-ciel me déposa sans plus de cérémonie aux abords du lycée. Je découvrais un nouveau décor de cette vie dont je savais si peu, de cette vie que je voulais maintenant partager sans limite. Alors que je contemplais ces bâtiments montait en moi le flot d'émotions que ressent un fan d'Elvis lors de son premier périple à Graceland. Puis je la vis, au milieu d'élèves, resplendissante puisque toute auréolée de la nouvelle puissance de l'amour que je lui portais. Les yeux masqués par de grandes lunettes de soleil aux montures épaisses, les cheveux tirés en un chignon établissant un savant compromis entre sévérité et sensualité, elle marchait d'un pas décidé vers la sortie. Me décidant à sortir de ma fascination immobile, je commençais à m'avancer vers elle, le coeur débordant de ce tout ce j'avais à lui dire sans bien savoir par où commencer, quand une grosse berline aux vitres teintées s'arrêta à côté d'elle, puis redémarra aussitôt qu'Armelle y eut pris place. Je n'eus d'autre choix que d'emprunter d'une manière un peu cavalière à son propriétaire le scooter aux mille couleurs.