vendredi 5 mars 2010

113 : jeudi 4 mars 2010

C'était un homme au ventre replet. Un homme dont la panse, tirée à quatre épingles, gargouillait au rythme de sa Casio. Il est six heures et quarante-cinq minutes passées de une seconde. L'homme se prend alors à rêver; à rêver de son dîner. "Ça fait faim, bordel ! J'en ai ras la gamelle!" Se dit-il en observant la vitrine. C'est une vitrine de boulangerie où les viennoiseries luisantes et dorées, délicatement manipulées par les doigts translucides de madame Henri, font de l'oeil au passant. Bien sûr elles n'aguichent que ceux dont la faiblesse se lit sur un simple froncement de sourcils . Exit donc les hommes pressés et abonnés aux salles de Gym ou les femmes chargées de com' et fêlées du bocal. Notre homme est plutôt du genre à imaginer sa propre action. Il est contemplatif comme on dit. Mais à l'âge révolu, l'excès ne pardonne pas, c'est sa soeur qui le lui dit. Épais du genou, goitreux comme Balladur, suant son déjeuner; notre poupon a comme une odeur de bonbon. Et puis ce soir dans le froid d'hiver, avec sa couenne certifiée Aoste, il a comme une envie de duvet de plumes qui le loverait. Une hibernation après la délibération. "Et puis merde, j'ai la dalle et j'ai pas le droit de becqueter ce que je veux? Cholestérol mon cul, oui! C'est à cause de leur diagnostic apocalyptique que je vais me chopper un infarctus." La porte en verre, révélée par un "poussez" noir et or, avale notre homme. Alors, au fil du présentoir dans le cliquetis de sa menue monnaie, il change de cap, la décision est prise: c'est la transhumance dans le cigare! Son cerveau délègue enfin les pouvoirs à l'estomac. Il en aura pour six euros et soixante dix centimes.

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C'est ainsi qu'avait fini la Nouvelle-Wavre, ses habitants pendus une nuit par centaines dans leur maison, tous suicidés comme s'ils avaient su que le matin prochain du feu viendrait tomber du ciel pour broyer, fondre et pulvériser les canaux et les délicats immeubles pastiches de Belgique, puis que des soldats rueraient pour finir de tuer les rescapés après que les bombes se seraient tues, abattre, égorger et faire des prisonniers alors que le soleil se serait découvert et que la lumière se serait faite claire et douce. Ceux qui avaient déclenché cette guerre d'intimidation échouèrent ce jour à démontrer leur force, car il n'est point de démonstration sans témoin. Ce qui devait semer la terreur auprès de toutes les villes de l'Alliance Maritime du sud du Continent Retiré ne fut donc que le surpuissant enfoncement d'une porte ouverte, comme l'explosion expérimentale et secrète d'une bombe cataclysmique au fond du désert. Déstabilisés par les facultés de prescience que le comportement des Néo-Wavriens laissait supposer, les assaillants se replièrent. La fin de la Nouvelle-Wavre ne fut découverte qu'un peu plus tard, lorsque quelques bateaux venus d'une autre ville de l'Alliance Maritime accostèrent dans ce port de faible importance, et qu'il découvrirent l'œuvre des bombes et l'absence de toute population, tant locale que militaire. Comme si un Dieu furieux avait sans raison, sans sommation ni explication voulu la fin de la Nouvelle-Wavre, et l'avait obtenue.