jeudi 4 mars 2010

112 : mercredi 3 mars 2010

[open space] Et ça se calme enfin. Depuis quelques heures que je me gomme, le silence vient enfin s’affirmer, à ma rescousse, moi, l’intrus de cet espace. Je retrouve mes contours, prends une bouffée d’air. Quelle heureuse idée d’avoir entrouvert cette fenêtre ! Sur ma nuque, un léger souffle et je me redessine lentement. Quelques notes graves puis aiguës, graves puis aiguës. Encore une sonnerie, une de plus mais celle-ci est isolée. Elles ne sont plus que parcimonieuses à cette heure ci. Il est midi. Un ou deux tintements en échos élevés. Mais la mélodie outrageante ne dure pas. L’ambiance survoltée est retombée. Tranquillité. Je me plonge à nouveau dans mes éprouvés. Un collègue approche, je tabule sur mon clavier et réaffiche un écran professionnel. Le tableur empli de ses colonnes factices donne l’allure d’une tâche en cours, complexe et alignée sur mes missions. Me demande une cigarette. Je lui donne d’un geste vif et automatique. Qu’il parte ! J’ai besoin de dessiner sur l’écran de petites courbes régulières, repères de ma sérénité retrouvée.

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La plus grande bibliothèque de Paris (5) Tu es assise et tu ne me vois pas. Et même si tu levais les yeux nous ne pourrions pas nous parler. Deux vitres nous séparent, celle de mon wagon et celle du tien. La lumière des néons tremblotte au rythme du métro cahotant, traînant ses quintaux de métal et de gens sur les rails électriques. Si je fronce un peu les sourcils, je distingue mon reflet, le mouvement de tes mains tournant les pages en arrière plan. On dirait que tu essayes de me décoiffer. Je n'ai pas envie de te suivre, de te faire la cour, ni de publier une petite annonce à la rubrique "transports amoureux". Je me laisse juste émouvoir par la beauté du monde dans ce boyau de terre. Une douceur semble t'envahir à mesure que les lignes passent sous ton regard de lectrice. Je garderai cette image pour les jours obscurs qui m'assaillent à la surface de la ville.

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Le bateau qu'ils avaient volé cette nuit-là était bien choisi, parce qu'il était possible d'en allumer le phare qui leur était nécessaire sans faire tourner le moteur, et donc sans réveiller le village où résidait certainement le propriétaire détroussé. De plus l'embarcation était suffisamment légère pour qu'ils puissent la faire s'éloigner du hameau en ramant. Les yeux rivés vers le canal qu'éclairait le phare, ils ramèrent longtemps, craignant d'être toujours trop près des habitations au moment où ils démarreraient le moteur, de réveiller les villageois et de leur faire aussitôt débuter la chasse dont ils seraient le gibier. Ils ne voyaient rien derrière eux, et ne pouvaient qu'imaginer la distance qui les séparait du petit bourg où les lampadaires étaient hors d'usage, probablement depuis les événements qui les avaient fait quitter la ville et passer par ici. Sans certitude quant au fait d'être suffisamment loin, ils furent très prudents. Longtemps encore après avoir finalement lancé le moteur, ils guettèrent en direction du village des phares qui auraient été ceux de bateaux à leur poursuite. Il n'y eut pas de phare derrière eux et ils n'eurent pas à forcer l'allure. Ils suivirent avec précaution les voies d'eau qui les mèneraient sur l'autre rive des marécages. À la vitesse qu'ils suivaient, ils seraient probablement avant l'aube de l'autre côté. Peut-être que les petites villes seraient éclairées là-bas. Sinon, il n'auraient qu'à attendre que le ciel s'éclaircisse pour recommencer à y voir. Il leur faudrait alors trouver un nouveau véhicule pour poursuivre leur chemin, ils prévoyaient donc d'avoir à patienter au petit matin.