dimanche 11 avril 2010

150 : samedi 10 avril 2010

Si l'on veut que tout soit englouti, c'est parce que nous aspirons à la légèreté des êtres volants. Si nous pouvions être partout où notre regard atteint, nous nous consolerions d'être privés d'ubiquité, nous nous accommoderions de notre finitude. Si l'on veut que tout soit englouti, c'est parce que nous désirons pour le monde la mémoire des poissons, let souhaitons son entièreté recouverte, ses recoins, tréfonds et sinuosités dépliés et ouverts. La fin et le début perpétuels et inhabitables. Nous n'aurions plus rien à faire ici, nous n'aurions plus rien à faire.

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La pierre moussue ne voyait jamais le soleil. Ce fragment d'un bloc plus conséquent fracassé quelques dizaines de mètres plus haut avait arrêté ici de dévaler la pente pour n'en plus bouger depuis plusieurs centaines d'années. Les générations de végétaux se succédant autour de lui avaient peu à peu déposé un humus épais qui le rendait moins saillant. La mousse était ensuite apparue, achevant de fondre le gros caillou dans le décor de sous-bois, estompant son arête aiguë, pas franchement érodée. Cette pierre gisait là sous les pins sylvestres comme un ancien dangereux malfrat s'étant peu à peu assagi au contact d'une communauté bienfaitrice qui aurait eu le dévouement de le recueillir. Sa violence latente se réveilla brusquement, massive et nette, quand l'arrière du crâne y fût projeté, de toute la vitesse d'un corps tombant sans frein. Le bruit de l'os fracassé troubla le calme de la forêt et la mousse, enveloppe bien trop fine de cette roche bien trop dure, fut instantanément imprégnée du flot épais et sombre du sang.