J’attends
Yseult. Elle doit me rejoindre dans quelques instants. Elle surgira dans cet
horizon intime et hasardeux qui m’inspire. Son visage comme un soleil déchirera
les imprécisions alentour. Alors non seulement je serai incarné mais l’endroit
où je me tiendrai ne sera plus ce non-lieu ondoyant mais l’endroit de la
rencontre amoureuse. Et je serai un peu abîmé. Parce qu'Yseult me met en
présence de moi-même avec une intensité telle que je me brise comme un
contenant trop plein, que je me déchire comme un drap trop tendu. Et je serai
heureux. Car, malgré cette douleur (ou grâce, en autres choses, à cette
douleur), je me sentirai vivant, terriblement vivant. Ce sommet de ma joie, je
l’atteindrai dans la conscience de son visage qui me regarde avec tendresse et
dans l’affirmation de ma croyance en la gratuité de notre amour. Je le lui
dirai. Je lui dirai que je crois que notre amour est gratuit. Je lui dirai que
nous n’avons strictement rien à payer pour lui. Je le lui dirai. Elle sourira
et m’embrassera sans doute. Prenant ma main, elle m’entraînera dehors, encore
une fois. Et je lui dirai oui.