vendredi 10 septembre 2010

302 : jeudi 9 septembre 2010

C’était se rendre compte trop tard, au repas de midi, que les poncifs s’alignaient sans que personne ne reprenne, ne soit choqué, et se dire que le second degré devait être caché là, sans doute, dans les rires et la fatigue. Comment, autrement, supporter cela ?

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À chaque solution son problème, méthode graduée (4/4) : la quatrième situation, enfin, est la plus inconfortable : il s’agit de celle qui vous implique dans un problème dont vous êtes responsable et qui n’est pas réparable, ou dont vous ne pourrez dédommager les préjudices occasionnés. Seuls les plus habiles et les plus aguerris parviennent alors à se faire plaindre en donnant le spectacle auprès d’âmes charitables d’un sentiment de culpabilité les mettant au supplice. Notez bien que cette méthode n’est avantageuse qu’en cas de simulation - et de simulation crédible - de cette épreuve de la honte et de l’horreur d’avoir failli. Ces sentiments réellement soufferts vous rendraient gravement perdants. C’est la raison pour laquelle il importe de ne jamais tenter de vous racheter : vous n’y parviendrez pas et dépenserez une énergie toujours insuffisante à ces fins, sans jamais réussir à effacer les dommages que vous avez causés, du moins dans l’esprit de celui ou de celle qui les a subis. L’attitude la plus souvent conseillée est celle de l’indifférence : vous faites comme si de rien n’était, vous ne cherchez pas à éviter celles et ceux qui subirent les conséquences de vos inconséquences, vous ne vous interdisez pas les mouvements d’humeur, quels qu’ils soient, à leur destination. Cette méthode est souvent efficace, car il est fréquent que la consternation ou le doute progressif empêchent tout bonnement les personnes ainsi traitées de réagir autrement que s’il ne s’était effectivement rien passé. Les gens n’oublient pas, ils n’oublient jamais, ne vous trompez pas à ce sujet, mais plus le temps passe et plus il leur sera difficile, et finalement quasiment impossible, de rompre les habitudes qu’a instaurées votre tactique d’indifférence active. Il faut cependant attirer l’attention sur la faille de cette méthode, telle qu’elle fut mentionnée en creux dans notre paragraphe au sujet de la troisième situation : elle expose à des vengeances qui, adroitement exécutées, ne vous laisserait comme réponse qu’une bien périlleuse guerre ouverte. C’est la raison pour laquelle d’autres méthodes ont nos faveurs, que chacun choisira selon son goût pour l’audace et le risque bien pesé, ainsi qu’en fonction de ses affinités esthétiques. Qu’on n’oublie pas les possibilités de renverser la vapeur, en faisant en sorte que la personne à laquelle vous avez causé du tort vous en cause à son tour, de façon à soudainement inverser les rôles et à faire passer la culpabilité de l’autre côté du filet. C’est là un très beau défi, qui nécessite de votre part de bonnes capacités d’anticipation et d’organisation. Réussie, la manoeuvre est parfaitement jouissive, elle présente cependant quelques risques, que vous devrez mesurer en fonction de la personnalité de la personne cible, que vous avez l’avantage de déjà connaître au moment où vous choisirez de faire se déclencher l’incident qui vous sera préjudiciable (pour les risques et attraits qui en découlent, se reporter au paragraphe précédent, présentant la troisième situation). Une consigne importante à celles et ceux qui seraient tentés par cette méthode : une fois l’opération accomplie avec succès, l’expression “être quittes” n’appartient en aucun cas à votre vocabulaire. Enfin, dans cette quatrième situation, la méthode présentant le plus d’éclat et de panache, celle qui pour cela trouve nos faveurs, est la suivante : ne tentez pas de biaiser en maintenant le plus possible vos habitudes tout en tachant d’éviter la personne à laquelle vous avez causé du tort, c’est votre conduite qui alors prendrait sur elle toutes les difficultés qu’a engendré le problème dont vous êtes responsable. Adoptez plutôt un comportement extrêmement agressif, voire brutal, soyez odieux de la façon la plus gratuite qui soit avec la personne à laquelle des dommages ont été provoqués par votre faute. Votre attitude sera rendue plus cruelle encore par la conscience claire que cette personne entend bien tirer avantage de sa position de victime. Il faut prendre de vitesse sans pouvoir être rattrapé : votre férocité et votre grossièreté doit être explosive et doit se déployer sur une période très courte, quelques jours tout au plus, sans jamais être assimilable à un crime ou à un délit rapidement identifiable. Lorsque vous avez atteint l’outrance et l’intolérable, changez immédiatement de vie, déménagez loin, quittez votre emploi et coupez tous les ponts qui permettraient à votre cible de vous retrouver sans avoir à mettre en oeuvre de très importants efforts. Cette méthode a un certain coût, nous en convenons - mais bien assénée, une forte dose de violence verbale et morale sera immanquablement malfaisante, voire traumatisante dans le meilleur des cas, pour la personne auprès de laquelle vous aviez commis une faute impossible à racheter. Et quand l’autre est perdant, vous êtes gagnant : vous avez ainsi retourné une situation qui ne vous était pourtant guère favorable au départ. Qu’on ne désespère jamais, des solutions existent toujours.


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Lorsque je me suis vue balancer le jeu d'échecs brusquement pour le faire partir - car, et je le savais bien, mon adversaire aimait essayer de me piéger, et savait m'en faire voir, tester par son intelligence les limites de ma patience, la tension avait là atteint quelque chose d'irréel et d'insoutenable - une seule pièce se tenait encore debout sur la table : un fou blanc. Pour sa part lui s'était enfui en rigolant, sans s'excuser, jamais... Et ses ricanements continuaient à résonner dans l'escalier. Un coup de vent fit claquer violemment la fenêtre donnant sur la rue, laissant entrer les clameurs lointaines du dehors. A présent certaines pièces du jeu se trouvaient renversées sous l'échiquier, une tour et une dame, blanches, les deux tours noires, ainsi que le roi et un cavalier noirs - les autres pièces du jeu restant çà et là éparpillées. Un peu perplexe, à moitié agacée à moitié amusée, j'étais à vrai dire soulagée ; un temps j'ai fermé les yeux, émis un long soupir; puis sourire, ainsi une fois la chute de tension passée j'ai entrepris de tout ranger. J'ai veillé à ne rien laisser de côté et j'ai tout ramassé, tout examiné, tout compté et recompté: aussi ai-je dû chercher longtemps avant de retrouver le second fou blanc parti valser sous l'armoire dans le couloir !


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« J’ambitionne d’être un saint. Un saint athée » avait-t-il aussi précisé, « et si possible encore de mon vivant ». Donc un saint sans transcendance, sans miracle mais sans martyre non plus, et a fortiori sans canonisation. C’était le but qu’il s’était fixé, avait-il affirmé, sur le plan personnel comme professionnel. Il cherchait à y parvenir en faisant le bien : en agissant pour faire plaisir à ceux qui le sollicitaient ; l’intérêt ou l’ennui qu’il aurait pu éprouver à réaliser telle ou telle action n’entrait pas en ligne de compte ; sa seule satisfaction provenait de celle qu’il procurait à son entourage. Mais il s’interrogeait aussi sur d’autres moyens de s’affirmer comme un saint.