vendredi 2 juillet 2010

232 : jeudi 1er juillet 2010

Il m'avait fait visiter le campus, qui n'était pas celui où je suivais mes cours mais le sien, là où c'est lui qui avaient ses habitudes. J'étais venu là, de l'autre côté de la ville, pour trouver quelques renseignements administratifs et pédagogiques en prévision de la rentrée universitaire suivante. J'avais dû, pour entreprendre cette démarche, tenter en vain de m'extirper d'un début d'après-midi poisseux, ainsi que d'un violent cafard dont Avec le Temps de Léo Ferré avait été le déclencheur ravageur et de fond sonore tenace. Le bus m'avait lentement fait traverser le centre ville, puis longer le fleuve sans charme. Depuis ma mélancolie traînante, je fantasmais une plongée prochaine dans une vie d'intellectuel total et colossal, laquelle ne me demanderais plus d'effort pour être rejointe mais deviendrait, je le voulais, de l'ordre de la maladie frénétique dont je ne pourrais me défaire et qui ferait de moi un bourreau de travail et une figure obscure, glorieuse et ombrageuse à la fois, tôt foudroyée par l'explosion de son cerveau et l'accès clandestin à quelques vérités supérieures et interdites. Ce destin romantique et terrible nécessitait le retrait auprès du secrétariat du département de philosophie quelques formulaires d'inscription, et c'est ce que je m'en allais entreprendre par cette après-midi. Je cherchai assez longuement dans le campus vaste et arboré, où cavalaient des écureuils, avant de trouver l'assez laid bâtiment crénelé de béton, et c'est en revenant sur mes pas depuis le secrétariat, dossier d'inscription à la main, que je le croisai dans l'escalier. Il était la seule personne de ma connaissance que j'aurais pu croiser ici, un étudiant en philosophie d'assez haut vol, qui n'hésitait pas à cultiver à l'occasion un côté beauf, de même qu'un tempérament souvent prétentieux et hautain. Il aimait donner quelques aperçus de sa très bonne maîtrise de Kant, de Hegel, de Montaigne et de Hume, surtout pour ceux dont j'étais qui avaient plaisir à en prendre plein la vue, et il ne se souciait guère de paraître agréable. Je l'aimais bien cependant. Il me fit donc visiter le campus, me montra et m'expliqua certains détails, certains fonctionnements que, selon lui, peu connaissaient, il m'exposa certains points de vue et me fit part de sa décision récente de quitter la philosophie pour l'informatique. Il se retirerait prochainement de ce campus et c'était un peu alors comme s'il voulait, par son exposé, me transmettre la position qu'il s'attribuait, parmi les quelques uns et quelques unes qui sortaient d'un lot qu'il jugeait au mieux médiocre. La suite ne lui donnerait pas raison à mon sujet. De cette inspection du campus, ce qui me frappa le plus fut le nombre important de bâtiments fermés ou vides. Près d'un de ceux-ci, nous nous assîmes longtemps, en proie à un certain ennui qu'il nous aurait été simple d'écourter en quittant les lieux où plus rien ne nous retenait, mais nous n'abrégeâmes pas, et je l'écoutai encore, avant que bien plus tard nous partions ensemble prendre le bus qui nous déposerait au centre-ville.

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L’arbre se dresse au milieu des prés. C’est un vieux tilleul plus que centenaire, patriarche qui règne sur la campagne environnante. Il déploie sa masse de branches et de feuilles murmurante d’oiseaux chamailleurs, d’écureuils bondissants et affairés, de chauves souris qui attendent la tombée de la nuit, de toute une population d’insectes, charançons, chenilles, fourmis, qui crapahutent, rampent, trottinent, glissent et se faufilent entre tronc et écorce. Il suffit d’un souffle de vent pour que les feuilles commencent à bruire et bientôt, au gré des bourrasques, monte un bruit énorme de tempête ; les branches s’inclinent en une ola gigantesque. L’arbre tout entier se met en marche.