samedi 11 février 2012

801 : vendredi 10 février 2012

Avant d’ouvrir un compte Facebook, jamais Léon ne se serait douté qu’un des noms de famille les plus répandus en France soit Auteur.


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Cyril se demande s'il va enfin rencontrer la cible, depuis le temps qu’il traque Georges, il commence à douter. Il s’allonge sur la grande pelouse inclinée du parc et s assoupit. Un voile noir absorbe son attention. Dans sa main droite recroquevillée, il tient un oisillon jaune et dans la paume de la gauche grande ouverte un vieux rhinocéros en acier. L’oisillon lève vers lui ses minuscules pupilles sombres, lance un regard plein de reproche et de désespoir. Le rhinoceros piaffe sur place, racle le sol, défèque, sa merde sort en long boudin qui s'enroule en spirale marron dans le creux de la main gauche, un dégoût saisit Cyril qui essaye de se débarrasser du rhinocéros et de ses déjections immondes par un grand geste de la main, une voix nasillarde commente : - Attention, c’est un vieux mâle solitaire, c’est les pires. Son cerveau commande à sa main de gifler l air mais celle-ci ne bouge pas. Sous ses pieds quelque chose cède, il s'enfonce lentement et verticalement, c'est le poids de l'animal se dit-il en cherchant le rhinocéros du regard, pendant que l'oisillon se met à enfler, grossir, se dilater comme un gros ballon duveteux au jaune paille éblouissant. Le nombril de Cyril arrive au niveau du sol ou des dégoulinures de merde se mélange à la terre. D un seul coup il se sent soulagé par son engloutissement progressif, et impatient même, enfin il va savoir ce qui se passe en dessous. Le sol est devenu sable, un sable gris de décharge quand ses mains l'atteignent puis s'y enfoncent, au moment ou elles disparaissent une nuée de chaleur irradie dans son plexus, comme une irruption volcanique qui dégouline dans tout son corps, ses épaules s'enfoncent... il lève le menton quelques secondes encore le temps de prendre une longue inspiration, il écarquille largement sa bouche jusqu'à ce que crac... ses commissures se déchirent, ensanglantée sa mâchoire tombe sur sa glotte et pousse un cri de joie, cette sensation épaisse qui l'envahit en même temps que le sable remplit son palais et le leste, un mouvement frénétique parcourt son corps pris par la transe au beau milieu d'une boue bleue outremer. Il ne sait si ses yeux sont ouverts ou fermés quand dodelinent autour des masques blancs et grimaçants. Ah comment le transpercent ces pupilles nues qui flottent derrière ces masques, la cruauté de ces regards opaques illuminés par intermittence d'éclat scalpel qui promettent un sacrifice. Si jamais il pouvait étendre son bras et arracher ne serait-ce qu'un de ces masques, qu il découvre enfin le visage de l'ennemi, un vieux mâle solitaire c'est les pires, plutôt que de sentir ses sarcasmes et son appétit, il transpire des litres de sueur qui puent l'urine, quand les yeux semblent lui dire, aucune chance de t en sortir, je vais t attraper et je te croquerais, en entier, je te croquerais.... et la sensation de multiples canines s'enfonçant dans son ventre au niveau du nombril lui procure un plaisir intense. Quand Cyril se réveille, le soleil s aligné sur la cime des arbres. Il sourit avant de se remettre sur ses pieds, ce soir, c est sûr, ça va être un grand soir. Georges s'endort au bord du canal. Ses bras se transforment en branches noueuses qui telles le capitalisme financier ne s'arrêtent pas de pousser. Un canari se pose sur sa branche gauche, rejoint par un autre piailleur au regard de Léon Zitrone. Derrière les cumulus violets qui s'amoncellent surgissent à jet continu et dans des trajectoires libérées de l'oppression réactionnaire d'autres oiseaux jaunes vifs, qui tournent en rond autour de lui puis chacun l'un après l'autre se pose sur ses branches, jusqu'à les recouvrir de boules de plumes. Innocents et libres de tous les conditionnements bourgeois, les nouveaux venus s'agrippent sur le dos des déjà installés. L'embourgeoisement des volatiles, c'est ça, la mort. Succombant sous le poids du fascisme, les branches ploient et George ouvre la bouche:- hé le copain, pour la cogne de tout à l'heure, faut pas lésiner sur les lacrymos. Il se demande pourquoi il dit ça alors qu'il voudrait leur transmettre un message autrement plus important. Un message tellement évident qu'il fera basculer toute la galaxie dans un état de libération totale. Il inspire et ça racle dans ses parodies nasales. Crac, Les branches commencent à se casser quand il reprend son souffle, cette fois-ci il se concentre et c est sûr, il va se faire comprendre: - ne bougez bande de fachos, pas, je vous arrête pour sédition ailée, vous avez tous un grain. Un torrent de larmes jaillit de son oeil gauche, il s'en veut. Plutôt se mordre la langue que de ne pas pouvoir dire aux colibris qu'ils le brisent et qu'ils doivent s'envoler, se mordre la langue, oui, qu'ils reprennent leur migration révolutionnaire, c'est dur de se mordre la langue quand on a un bec. C est dur de faire la révolution quand on perd ses branches. C'est dur d'être un homme quand on vient de se transformer en oeuf, qu'on pique du bout de son bec mou une coquille violacée qui gémit et que quand enfin on a réussi à percer, on se retrouve humide et grelottant dans la main d'un géant.


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Celle a croisé la Vieille, mais c’est une fois de trop. Elle passait dans le Cheminas, et la Vieille semblait l’attendre. Grande et hautaine, enveloppée de ses toiles de coton avec lesquelles elle se confond druide, toute réchauffée de toutes les niaques qui se propagent dans les bouches des gens, depuis Izon jusqu’à Montbrun, on ne parle que de ça, le loup dans la vallée, et le loup a faim, et elle n’est plus la seule brebis convoitée. C’est qu’elle ne sait pas, la jeunette, de quoi elle est capable la Vieille. Elle qui à longueur de journées repasse des peaux qu’elle arrache crue des cols des lapins, elle qui remue du cochon et brasse la polenta, avec des bras plus drus qu’un pin. Elle qui longe les précipices et s’ébroue dans des souterrains connue de la seule, elle qui ramasse des herbes pour soigner ou tuer ou rendre invisible ou faire souffrir ou agrémenter la daube. Elle qui connait les noms des plantes en deux ou trois langues et reconnaît les arbres à leur tronc, à leur ombre ou à leur odeur. Elle qui observe les oiseaux dans la nuit. Elle qui parle aux pipistrelles et marche sans peur aux bestes. Elle qui hèle les voyageurs égarés dans les virages de la Roche. La Vieille est assise sur trois pierres, toute frêle, toute petite Vieille avec sa biasse à elle, on ne voit pas dedans les potions les feuilles, toute craquante petite Vieille qui ne réclame qu’attention et cautèle. Quand elle la voit, Celle — qui ne parle guère plus — devient souple et sourire. « Tout bon ma mie ? — Mon petit, oui, je reprenais du souffle après la descente — Je peux vous aider ? — Ma foi non, sauf si tu t’y connais en simples ! — Pas vraiment... Je suis nouvelle dans la région ; j’habite aux Réhauts et travaille aux Grièches. — Eh, ce n’est pas la direction, tu t’en vas promener ? — Je m’en vais... oui... promener. J’aime beaucoup le village de l’autre côté. — Izon... C’est longue étape pour une balade. — J’aime marcher ». Ou quelque chose comme ça, chacun se fait son dialogue, il est aussi creux que le vent, quoique moins perçant. En vérité il n’y eut aucun dialogue, la Vieille s’est contentée de nourrir de noir le regard qu’elle jetait à la jeune femme, qui regardait ailleurs. Les indifférences font portes. Mais le piège était tendu ou la portée déployée où se fomente la litanie dernière. En vérité il n’y eut ni dialogue ni plan macabre, la jeune femme appelée Celle a aperçu dans le Devers une ombre penchée on aurait dit une femme qui cherchait ou ramassait dans la pente quelque chose. Et cette vision a fait question, et la question s’est amplifiée au point que la vision s’est estompée sous le premier soleil piquant. Au résultat il y eut peu de spectateurs et tout au plus la grande bouche du pays, celle qui parle sans rien dire, ou sait sans savoir, s’est entichée d’une nouvelle chanson où il était question d’un duel, de prétendants et de bergères abandonnées aux lavandes, d’un couteau, et de la mort cruelle et sanglante, qui a pris l’une figure et l’a rendu à l’autre comme un trophée, de ceux qui ornent la salle du restaurant ou la grande bouche s’affaire, mastiquant des histoires comme auparavant elle crachait du mythe, parce qu’on en est plus ou moins là, à broder des histoires sur du vide, des apparitions, des fées, des miracles ou des éléphants. Et qui dira du réel, à la fin ? Et qui racontera comment la mort s’installe dans le pays, alors qu’on ne demandait que ça, vieillir en paix, s’étioler et disparaître comme une croûte, les feuilles mortes ou le cadavre que déjà les champignons dévorent de leurs cheveux immaculés ?


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Elle essaie d'occulter la lumière qui coule jusqu'à elle, ce grand aveuglement des sens tant l'intensité de l'émerveillement est fort. Il serait plus facile de rester la porte fermée, de décider de rester prostrée sur une existence simple et dénudée de sens. Vivre, réellement, intensément, c'est difficile.