| Il me faut | 3 | Dans
ce rêve, il me faut le surplus d’énergie, la vigueur à étaler sur
l’asphalte et les mots. Il me faut les jambes élancées qui siéent à la
course, les pieds plats pour amortir l’enjambée, le front bombé vers
l’avant, la fermeté du buste et de la poitrine, le corps gainé, tendu
vers une seule et même destinée : déclivités, chemins, côtes, routes,
voies, montées, pentes douces, avenues, chaussées, boulevards, toutes
les artères et déserts à investir puis évacuer, la chair à transiter. Il
me faut la puissance pour le poing, l’explosivité pour crocheter le
menton, ricocher dans le nez, appuyer dans l’estomac ou le foi,
suspendre le corps des plus robustes en dépit de mon poids quasi plume
et de mon sexe. Il me faut le flegme pour ne pas me donner les gants
après l’envoi, ne pas me satisfaire d’un bon enchaînement qui à
découvert est une déclaration d’attaque. Cravan pouvait, avec l’immensité de sa stature et
la démesure de son ego talentueusement placé. Il me faut l’allonge et
la poigne afin de reprendre la main et recouvrir la tête pour plus tard.
Il me faut l’état de pleine conscience, l’animalité, la brutalité du
fait brut, le déploiement de l’instant, le pressentiment, le tour
d’avance, un poème de bras vif et instinctif qui va au rythme du flot
corporel, la faculté de savoir pour l’autre plus qu’il ne saura jamais
de lui-même. Lui aussi, s’instruit empiriquement de ce qui m’est
nécessaire, la ritournelle de mes parades et l’agencement des coups, la
construction des stratégies, - «
Ce serait idiot de mentir, c’est comme au poker – autant dire la
vérité, les autres croient que tu bluffes et comme ça tu gagnes. » -,
il ira contrer les velléités attaquantes, sécher la bouche, y déranger
le dentier, faire suinter la peau, chercher le soupir étourdi, briser le
souffle, mettre trompeusement en confiance, attendrir et amadouer les
après-coups. Dans ce rêve, il me faut revenir au corps innocent,
soustraire les années, ne pas m’en tenir au durcissement de l’âme, le
préparer pour l’après.